Quian n’avait pas pu aller voir sa mère aujourd’hui. Il était particulièrement fatigué à devoir lutter contre sa déchirure et renvoyer son pouvoir contre lui-même. Le trafiquant d’opium ne savait pas à qui demander de l’aide pour s’en sortir. Serait-il seulement capable de s’en sortir ? Il ne sortait plus de son petit chez lui, déléguant son travail et vérifiant comme il le pouvait que tout se passe bien. Cela sentait sacrément le roussi et risquait de lui coûter cher à la longue. Il savait que s’il ne faisait pas attention, on risquait de le tuer. Qu’était-il supposé faire ? Tuer avant que les tueurs soient à sa porte ? Le membre de la triade faisait plus surveiller sa mère que d’habitude, terriblement inquiet même s’il n’en montrait rien et que son visage restait toujours aussi froid que du marbre. Demain semblait plus qu’incertain. Pourtant il n’était pas le genre d’homme à désespérer. Ce n’était absolument pas son cas, bien au contraire. Le chinois était quelqu’un de persévérant. Ce n’était pas une misérable déchirure qui aurait raison de lui-même s’il savait pertinemment que les autres pourraient le considérer comme un monstre.

Même lui se trouvait monstrueux et repoussant. Comment faire dans ce cas pour s’en sortir correctement ? Quian se demandait s’il devait s’entraîner régulièrement, mais seul, cela allait un moment sincèrement. Il ne pouvait pas demander de conseil à sa mère sur les techniques de combat de leur peuple d’autrefois. Cela paraîtrait suspect lui qui avait toujours été très moyennement combat physique. Un soupir lui échappa et il regarda sa montre, il avait envoyé Hannah apporter du thé à sa mère. C’était un de ses meilleurs éléments et il avait confiance en elle si on pouvait ainsi dire les choses. Il avait investi en elle, c’était différent. De ce fait, Quian attendait certaines prestations de cette femme. Si elle le décevait, il n’hésiterait pas à la tuer lui-même. C’était un homme sans pitié qui contrôlait son réseau d’une main de fer. Le moindre élément qui montrait un signe de trahison et c’était fini. L’homme se leva de son siège. Son logement n’était guère grand, mais contrairement à d’autres logements du quartier, il était en meilleur état et bien décoré. Quand on y était, on avait l’impression d’être en Chine.

Quian mettait un point d’honneur à rappeler ce qu’il était et qui il appartenait, à la triade chinoise. Il avait une réputation à tenir, ainsi que ceux qui étaient dans ce gang. Le brun se dirigea vers la petite cuisine et mit à chauffer de l’eau calmement. Le regard songeur, il tourna la tête quand il entendit un bruit léger contre sa porte. Les gardes ne laissaient jamais passer personne dont Quian n’avait pas informé la venue. Son chez lui n’était aucunement un moulin dans lequel on pouvait entrer ainsi, bien au contraire. L’homme s’approcha de la porte et l’ouvrit pour se retrouver face à Hannah. « J’ai fait du thé, installe-toi, j’arrive. » Il désigna une petite table brune joliment décorée dessus. Il y avait des petits coussins autour pour permettre aux gens de s’asseoir en tailleur. Quian alla chercher sa théière et revint avec deux tasses. Il en posa une devant Hannah et s’assit en tailleur tout en attendant que le thé infuse correctement. « Comment se portait ma mère ? » Difficile de croire que cet homme aussi froid qu’un serpent ait une mère et pourtant c’était la vérité. Tout individu sur cette terre avait une mère, que cela plaise ou non. En réalité, il ne demandait pas vraiment comme allait sa mère, mais si Hannah avait bien donné son sachet de thé.

Depuis quelques temps, le quartier où sa mère vivait, était envahie par les halloweeners et cela ne plaisaient pas à Quian qui réfléchissait à une solution. Depuis qu’il avait ouvert la porte à Hannah, il se renvoyait la tare de sa déchirure contre lui-même. Au cas où elle ait la bonne idée de le toucher et donc risquer de se faire mal. Même si sincèrement, personne n’aurait la folie de le toucher sans qu’il y invite la personne. Quian avait changé depuis quelques temps, ce n’était pas un homme avenant à la base, mais là il se coupait particulièrement du reste du monde pour que personne ne devine pour sa déchirure.

« C’est bon, ici? » Les bras tendus vers le haut, clou entre les dents, marteau dans une main et tableau dans l’autre, Hannah attend avec impatience la réponse de la vieille femme qui se tient quelques pas derrière elle. Il ne faut que quelques instants après l’approbation de son hôtesse pour qu’elles en soient toutes les deux à observer la vieille gravure avec nostalgie – pour l’aînée, du moins. « J’aurais bien demandé à mon fils, mais il ne me rend plus vraiment visite », déplore-t-elle. « Heureusement que tu es là. » L’Indienne n’avait fait rien d’autre que lui livrer du thé, cadeau de son patron, et installer une vieille gravure d’inspiration asiatique qui parvenait à dissimuler habilement une tache sur le mur. « Tout le plaisir est pour moi, Madame Sima. Je suis à votre entière disposition. » Ou du moins, c’est ce que le patron aurait voulu qu’elle dise, alors c’était ce qu’elle déblatérait, ce qui avait le mérite de plaire à la vieille dame. Une poignée de minutes plus tard, biscuits sucré-salés sous le bras, Hannah repartait. Comme d’habitude, Qian Sima voudrait avoir son rapport. Votre mère va bien. C’était ce qu’elle se retrouvait toujours à dire, souvent en d’autres mots. Il le saurait s’il daignait sortir de son repaire pour la visiter; or, Hannah était loin d’être bien placée pour le juger.

Elle frappe quelques coups discrets à la porte des appartements de l’homme après avoir salué les gardes. Ils la connaissaient et savaient ce qu’elle venait faire, autrement, elle n’aurait même pas mis un seul pied dans l’édifice. Les gonds grincent alors qu’apparaît, dans l’embrasure, le visage familier de son patron et commanditaire. Muette, elle acquiesce l’ordre d’un signe de tête, s’installant à la table basse avant d’y déposer le paquet-cadeau, méticuleusement enveloppé dans du tissu grisâtre – une couleur bien trop commune dans ces bas-fonds. « Bien. Elle vous remercie pour le thé que vous lui avez envoyé, et souhaitait que je vous remette ceci. » Elle pointe discrètement le paquet qui trônait au centre de la table et que Sima avait sans doute déjà remarqué. Hannah avait pu lorgner ce qui s’y trouvait et espérait sincèrement que son patron serait d’une humeur suffisamment bonne pour daigner lui en offrir un – tout améliorée et insensible qu’elle soit, personne ne restait de marbre devant des friandises aussi rares que délicieuses comme celles qu’avait reçues son patron. Elle fronce discrètement les sourcils avant de poursuivre : « Elle insiste également pour que, la prochaine fois, vous lui rendiez vous-même visite. » Elle marque une brève pause, sans laisser le temps à son patron de répliquer. « Sauf votre respect, j’ai cru remarquer qu’elle était vaguement irritée de voir que ce n’était pas son fils qu’elle recevait aujourd’hui. »

Elle soupire, puis pince ses lèvres, observant avec son désintérêt habituel les traits de son interlocuteur. Il n’avait jamais été facile à vivre, même si elle était convaincue que leur association était mutuellement bénéfique, et si elle n’avait jamais été particulièrement amicale ou détendue en sa présence, elle se retrouvait récemment à marcher sur des œufs à chacune de leurs rencontres. Il était encore plus distant et plus froid qu’à l’habitude, et il n’était pas nécessaire qu’Hannah soit devin ou psychologue pour comprendre qu’il y avait anguille sous roche. « Si vous me permettez… » Non, non, elle ne pouvait pas poser la question. « … de vous servir le thé. » Elle tend la main vers la théière, en bonne petite employée, versant avec soin son contenu dans la tasse de Sima, puis dans la sienne.

Quian regarda pensivement le petit paquet sur la table basse. Il savait parfaitement ce que c’était. Il ne bougea pas d’un pouce. Les mains sur les genoux, il bougeait à peine. On aurait pu croire à une statue même si ce n’était absolument pas le cas. Il sentait la fatigue traverser ses muscles, mais aussi sa tare. Depuis qu’il était un monstre, le monde avait pris une autre teinte. Une teinte difficile à bien regarder. Il se dégoûtait lui-même et ne savait pas comment faire pour tenir bon. Il était particulièrement fatigué en ce moment et cela ne semblait pas aller en s’améliorant. D’un autre côté, il devait garder les sens aux aguets et tenter de tenir bon. Chaque jour était un défi de plus et il se demandait quand viendrait l’ordre de le tuer. Quian savait que sa mère serait contente pour le thé, ou du moins l’avait-elle fait croire à Hannah. Il connaissait sa mère, elle avait fait bien des sacrifices pour survivre et avait fermé les yeux sur ce qu’il était devenu. Probablement serait-elle toujours fâchée contre lui, mais il était son unique fils. Un fils qui ne donnerait probablement jamais d’héritier. Hors de question de s’accoupler.

Il n’avait plus eu des relations intimes depuis qu’il était un doppelganger. Il réfléchissait toujours comment faire sans tuer quelqu’un. Même s’il avait compris qu’une fois sa tare renvoyée contre lui-même, cela semblait aller pour toucher quelqu’un. Il n’était encore sûr de rien et c’était un homme de contrôle. Il ne pouvait absolument pas se permettre de louper sur ce coup-là, bien au contraire. Il devait continuer de se contrôler, coûte que coûte. Son sourcil s’arqua légèrement quand son petit investissement lui apprit que sa mère avait insisté pour qu’il vienne la prochaine fois. Sa mère devenait particulièrement sentimentale, ou alors il espaçait trop ses venues. D’habitude il venait plus particulièrement, mais pas en ce moment. Depuis quelques temps il se demandait si espacer ses visites donneraient du courage aux Halloweeners et que cette bande de clowns s’afficherait encore plus qu’ils ne le faisaient déjà. La triade et les gangs de manière générale, avaient des règles, une manière d’agir. Eux… n’étaient que des animaux, des cauchemars ambulants. « Tu ignores pourquoi j’ai espacé mes visites. » Ce n’était pas quelque chose de méchant qu’il disait et encore moins de manière autoritaire, c’était un fait.

Quian la regarda droit dans les yeux. Il savait qu’elle était intelligente, elle n’était pas améliorée pour rien après tout. Il y avait plusieurs raisons pour lesquelles il espaçait ses visites, mais il n’allait en donner qu’une. « Les Halloweeners traînent dans son quartier. Tu as dû entendre parler d’eux… ? Ils sont assez peu discrets. Je m’efface un peu pour voir si cela leur donne la bêtise de tenter de prendre plus de pouvoir. » Son ton était glacial, l’homme d’affaire qu’il était apparaissait enfin. L’homme sans aucune pitié qui ne reculait jamais devant rien. Il n’avait absolument pas froid aux yeux. Ces jeunes ne lui plaisaient pas. Il réfléchissait comment les frapper à sa manière. C’était un serpent froid tapi dans l’ombre. Le serpent avait bien remarqué le regard de Hannah sur les biscuits. Cela ne le faisait ni sourire ni rire. Il comprenait juste son intérêt pour ce qu’il y avait là-dedans.

Elle semblait réfléchir à quelque chose. Elle était futée et c’était bien pour cela qu’il faisait attention à comment il se comportait. Même si en ce moment, clairement, cela n’allait pas du tout. Il hocha la tête pour approuver qu’elle lui serve le thé et défit le tissu qui retenait la boîte de biscuits. Avec des gestes très calmes, il écarta les pans de tissu pour ensuite ouvrir la boîte. A son étonnement, sa mère avait fait des fortunes cookies. Elle n’en avait pas fait depuis longtemps et c’était juste pour amuser la galerie qu’autre chose. D’habitude elle préférait les desserts japonais, mais les ingrédients se faisaient rare. Quian tendit la boîte à Hannah. « Prends-en, peut-être auras-tu un mot intéressant. » Ironisa-t-il et pour une rare fois, ses yeux foncés brillèrent de malice. Il en prit un à son tour et le cassa en deux.

Il n’y avait aucun mot dedans. Sa mère devait vraiment être d’humeur maussade pour ne pas jouer le jeu à fond. Quian n’en tint pas compte et en croqua un bout. Cela avait toujours été un jeu entre son père et sa mère cette histoire de biscuit chinois, quelque chose pour entrer encore plus dans le jeu des américains du nord qui adoraient ce genre de biscuit qu’on pouvait trouver à l’époque dans un restaurant asiatique, pas forcément chinois, mais aussi thaïlandais. Quian laissa le temps à Hannah de croire qu’il ne se doutait pas qu’elle devait avoir quelque chose en tête. Cette femme avait la langue bien pendue et il était convaincu qu’elle avait quelque chose qui la démangeait particulièrement. « Dis-moi ce que tu as dans la tête. » Il lui faisait confiance, d’une certaine manière. Pas autant qu’aux membres du triumvirat, mais c’était une autre histoire. L’homme se demandait si elle oserait lui mentir, jouerait bien son rôle ou cracherait ce qu’elle pensait au fond d’elle.