Mais qu'as-tu fait?

Abel & Eve

Le temps passe lentement.

Je soupire un peu. Mon regard clair s'arrête sur l'horloge sur la cheminée. C'est une antiquité, qu'il faut remonter une fois par jour. Elle fait tic-tac tout le temps. Mais son bruit ne me dérange pas, je le trouve même relaxant. Bien que je ne sois pas sure de la définition exacte de relaxant. Cela doit signifier quelque chose comme se sentir bien, sans nervosité ou quelque chose du genre. Certaines notions, sensations ou sentiments purement humains me sont plus compliqués que d'autres à appréhender. Cependant, j'ai un panel assez développé d'émotions à ma disposition. Je fais la moue. Le temps peut sembler si long à certains moments. Surtout quand je suis seule ici.

Abel est parti.

Il a dit qu'il devait se rendre au marché noir pour acheter quelque chose. Mais je pense que le mot troc s'applique mieux au commerce du Ghetto. Après tout on échange des tickets contre des objets, services ou nourriture. L'argent n'a aucune valeur ici. Il faut vivre dans la Citadelle pour que ce mot ait encore un sens quelconque. Ici, on vit à la dure. Je soupire de nouveau et je quitte le sofa. J'ai choisi notre appartement dans un immeuble où d'autres résistants vivent aussi dans le Old Town. J'aime beaucoup ce quartier. Il est très vieux. Les bâtiments sont anciens et ont un charmes désuets intéressant. J'ai choisi. Abel a accepté sans me contredire. Je me demande s'il aime ce lieu lui aussi. J'ai aussi décoré l’intérieure. C'est moi qui a déniché l'horloge. J'ai demandé qu'on me la répare. Je l'aime bien. La plupart des objets et meubles ici présents, je les ai trouvés et acquéris. Abel sourit toujours légèrement quand je ramène quelque chose. Il me laisse faire, peu habitué et peu à l'aise avec ce genre de détail humain. Est-ce un trait de caractère ou bien un reste de mon ancien programme ?

Je touche du bout du doigts mon alliance en or. Je souris en la regardant. Le mariage c'était l'idée d'Abel. C'est comme cela que les humains prouvent aux autres qu'ils sont ensembles et non pas célibataires. Nous avons fait le même. Nous avons échangé des vœux et des alliances. Nous sommes mariés. C'est agréable comme sentiment. J'aime beaucoup cette manière de prouver son amour aux yeux de tous. Abel m'est indispensable….

La porte de l’immeuble s'ouvre, et j'entends des pas dans l'escalier. Ils sont trop lourds pour être ceux d'un simple humain. Je sautille un peu sur place et je frappe dans mes mains. Cela ne peut qu'être Abel. Il est enfin revenu de sa course si urgente au marché noir.  Il est revenu. J'espère qu'il va bien. Avec l'amour est venu l'angoisse comme sentiment. C'est bien moins agréable, mais elle m'étreint chaque fois qu'on est séparé. Je me tourne vers la porte d'entrée de notre appartement prête à lui sauter dessus comme à chaque fois.

« Oh te voilà... » Mais mon enthousiasme est coupé court avant même que je ne le rejoigne. Mes yeux clairs parcourent avec appréhension son corps plus grand et musclé que le mien. Il est dans un sale état. Abel est couvert de boue et sale. Je ne vois aucun dommage cependant. Mais cela ne veut pas dire qu'il n'a rien. J'approche lentement, sans sourire. Je sais que cela l'inquiète quand je perds mon sourire enfantin. Mais je ne peux pas en ce moment paraître heureuse. J'ai même perdu mon habituel babillage. « Que s'est-il passé ? Tu as eu un problème ? Tu vas bien ? » Je questionne presque frénétiquement en triturant mes mains. Je mords légèrement ma lèvre inférieure. Il n'était que parti au marché noir. Je le regarde avec intensité attendant une réponse même sibylline comme il les fait toujours.

© eden memories