Le gosse a cinq ans. Il est assis par terre et regarde devant lui avec de grands yeux. Puis il sourit, se redresse et salue la présence avant de s’en aller. Il arrive dans le vaste salon de la demeure O’Phelan où l’attend sa mère qui vient de l’appeler, inquiète de ne pas le voir. Ils sont protégés dans ces énormes maisons que l’on a fait construire, ces bâtisses surprotégées que les pauvres ne peuvent qu’observer de très loin. Pourtant, Diane ne peut s’empêcher de s’inquiéter sans cesse pour son fils. Peut-être parce qu’elle sait ce qu’il voit, parce qu’elle a peur pour sa santé mentale. Elle voudrait le protéger de son mieux, faire en sorte qu’il ne soit pas trop en contact avec la magie, parce qu’elle sait qu’il y a toujours un prix à payer. Mais elle sait également que son époux ne laissera jamais un de ses enfants sans formation. Elle soupire doucement, se penche pour saisir son fils dans ses bras et dépose un baiser sur son front. « Où est ta sœur, tu ne l’as pas vue ? » demande-t-elle en glissant ses longs doigts fins dans les cheveux blonds d’Arod. L’enfant secoue la tête, non, il n’a pas vu sa sœur. Et puis à vrai dire, il s’en fiche un peu. Il n’aime pas jouer avec elle, ses jeux sont nuls. « Bien, allons retrouver ton père alors, elle doit déjà être avec lui. » Ce soir, ils ont des invités de marque, des gens dont l’enfant a déjà oublié le nom, ça ne l’intéresse pas. Il sait jute que c’est important, qu’il doit bien se tenir parce que le travail de papa dépend de leur bonne humeur. Alors il le fera, parce qu’il le fait toujours. C’est sa peste de grande sœur qui n’est jamais fichue de faire les choses comme il faut. Arod espère juste qu’elle se fera punir encore une fois, ça fera plus de dessert pour lui.

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Arod fait de son mieux, vraiment. Il essaye de toutes ses forces de plaire à son père, cet homme exigeant. Hector O’Phelan était pourtant un homme patient, autrefois. Mais désormais, depuis que le monde sombre dans le chaos le plus total, que son entreprise lui coûte plus d’argent qu’elle ne lui en rapporte, il n’est plus que cris et punitions. Arod aimerait que ça s’arrête mais il a le sentiment qu’il devra faire avec ce nouveau père. Alors il travaille chaque jour, il s’entraîne comme un fou mais quoi qu’il fasse, sa sœur reste plus forte. Ça a l’air… inné, chez elle. Cette peste n’a jamais eu besoin de plus travailler que cela et pourtant, elle pratique la magie comme personne. C’est frustrant, ça le rend malade. Elle qui était autrefois le vilain petit canard de la famille pour son attitude rebelle et sa manie de répondre sans arrêt, on lui a tout pardonné depuis qu’elle fait des merveilles avec ses rituels. Elle est puissante, précise, parfaite. Sa magie à lui est brouillonne, sauvage, de mauvaise qualité selon leur père. Et Arod ne supporte pas d’être relégué à la place de numéro deux. Sa sœur, il la déteste. Il n’y a plus que leur mère qui le soutient encore envers et contre tout.
Arod inspire, plonge la lame dans le ventre du chat qu’il vient d’attraper. C’est petit comme animal, ça pourrait avoir l’air d’un sacrifice minable, mais les chats ont cette capacité étrange de voir les morts et cela leur confère une puissance que les humains sous-estiment souvent. La lame ouvre la panse de l’animal en deux et l’adolescent plonge sa main dans les viscères encore chaudes du félin. Il arrache ce dont il aura besoin, le foie et le cœur. Ces deux éléments sont soigneusement séparés et Arod s’empare d’une autre lame qu’il utilise pour tailler une plaie sur son avant-bras. Son sang se mélange à celui du chat et sa magie s’active, le rituel peut commencer. Il fait de son mieux, il se concentre le plus possible et prie les anciens dieux dans une langue désormais inconnue. Hélas, sa prononciation est loin d’être parfaite. Il se trompe et le rituel est fichu. Nu comme au jour de sa naissance et honteux, Arod baisse la tête, il n’ose pas croiser le regard de son père qu’il entend soupirer. Ses yeux se remplissent de larmes mais il les retient de toutes ses formes. Un mouvement à côté de lui indique que sa sœur a bougé. Elle a seize ans désormais, elle a bien grandit. Bousculant son inutile petit frère, la jeune fille se place au centre du cercle qu’ils ont tracé. Ses doigts viennent défaire les pinces qui retiennent sa robe et le tissu d’un rouge exquis tombe à terre, dévoilant un corps pâle sur lequel se reflètent les rayons blancs de la lune. Ses longs cheveux noirs, hérités de leur père, cascadent jusqu’au creux de ses reins. Elle n’a plus le corps d’une enfant, désormais c’est celui d’une femme qu’elle montre sans pudeur. Ses seins sont ronds et fermes et une délicate toison noire remonte d’entre ses jambes. Ses grands yeux bleus se ferment et elle se concentre mieux que son petit frère ne le fera jamais.
Ses doigts blancs plongent dans le cadavre du chat et en ressortent rubis, une couleur qui lui va à merveille. Elle n’est plus une enfant depuis longtemps. Il fait froid dehors et sa peau frissonne, ses tétons durcis semblent attirer tous les regards. Elle est la luxure personnifiée, une odeur de sexe émane d’elle. Sa sensualité n’a plus de limites et lorsqu’elle commence à prier les anciens dieux, dans cette langue qui glisse entre ses lèvres à la perfection, Arod sent ses poils se hérisser sur tout son corps. Il déglutit avec difficultés, hypnotisé par ce corps de femme qui l’attire autant qu’il le dégoûte. Il déteste sa sœur, elle ne l’a que trop humilié et il ne souhaite plus qu’une chose, lacérer ce corps trop blanc jusqu’à ce qu’il ne soit plus que chairs rougies et méconnaissables. Un grondement se fait entendre, c’est comme si le tonnerre était venu sans les éclairs rouler dans le ciel. La jeune femme s’arrête, essoufflée et couverte d’une fine pellicule de sueur. Ses joues sont rougies, comme si elle venait de faire l'amour avec les anciens dieux. Elle se retourne et plonge son regard dans celui de son petit frère, cet inutile petit être, si faible. Arod a envie d’hurler et lorsque leur père se glisse dans le dos de l’adolescente pour la recouvrir tendrement de sa robe rouge, il sait qu’il ne gagnera jamais contre elle.

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Arod ne parvient plus à respirer. Son cœur s’est comme arrêté de battre tandis que sous ses yeux, sa sœur arrache celui de leur mère hors de sa poitrine. Il a envie de pousser un cri mais il n’y parvient pas, aucun son ne veut sortir de sa bouche. La jeune femme ricane et porte le cœur à ses lèvres rouges afin de mordre dedans. Le muscle encore chaud a comme un soubresaut et du sang s’écoule en abondance sur son visage. Elle semble prendre un plaisir inouï et c’est alors qu’Arod aperçoit les doigts blancs de Jézabel aller et venir en elle. Ses gémissements se font de plus en plus forts et enfin, son corps se crispe et elle jouit, son regard allant immédiatement chercher celui de son frère. Les orbes bleus, brouillés par le plaisir, s’accrochent à ceux remplis d’horreur d’Arod. Elle sourit, laisse tomber le cœur de Diane O’Phelan et se relève. Une aura sinistre émane d’elle et le jeune homme comprend. Ce n’est pas sa sœur. Il a beau la haïr, il a beau ne pas supporter qui elle est, il sait qu’elle ne pourrait jamais faire une chose pareille. Elle est nue et sur son corps se trouvent des marques étranges qu’Arod ne parvient pas à analyser. « Qui es-tu ? » murmure-t-il d’une voix rauque et de nouveau, Jézabel ricane. Il n’a pas le temps de bouger que déjà, elle est sur lui, sa main enserrant sa gorge avec une puissance inouïe. « Ton âme, ton âme ! » s’exclame Jézabel avec un enthousiasme nouveau. « Elle est si forte, la magie en elle, je la veux ! » fait-elle en collant sa poitrine nue contre celle de son frère cadet. Il déglutit, mal à l’aise, il veut qu’elle recule. Son visage est recouvert du sang de leur mère et Arod a subitement envie de vomir.
« J’aurai ton âme, jeune sorcier ! Je l’aurai le jour où tu ne te supporteras plus et crois-moi, cela viendra vite, » susurre-t-elle au creux de son oreille. Ses lèvres viennent se plaquer contre celles du jeune homme qui peut goûter au liquide vital de sa mère, ainsi qu’à l’haleine de sa sœur. Il a un haut-le-cœur et la repousse. « QUI ES-TU ? » hurle-t-il, le corps tremblant. Ce n’est pas elle, Jézabel est insupportable, mais pas monstrueuse. De plus, elle l’a toujours considéré comme un insecte, elle n’agirait jamais ainsi avec lui. La créature en face de lui saisit sa main et la pose sur un de ses seins, un de ces globes fermes et délicat. De son autre main, elle vient caresser son sexe encore humide et laisse échapper des gémissements obscènes. « Tu désires ce corps, Arod ? » dit-elle en plongeant son regard dans le sien. Le jeune homme se fige, horrifié par ce spectacle. Elle se met à rire et le libère. « Non, bien sûr que non, ce serait tellement mal. » Ce constat semble follement l’amuser. « Tu m’intéresses. Tu m’intéresses et je t’aurai, » siffle-t-elle avant de s’éloigner. Toujours aussi nue, elle quitte la pièce et Arod finit par ne plus ressentir sa présence.
Les jambes tremblantes, il se rapproche du corps souillé de sa mère et aperçoit enfin celui de son père, non loin. Tous deux n’ont plus de cœur, ils ont été arrachés et à moitié grignotés par le monstre qui a pris possession de Jézabel. Ses parents étaient tout ce qu’il lui restait. Son père avait fait faillite, les condamnant à quitter les beaux quartiers pour devenir aussi pauvres que tous ceux qu’ils avaient pu mépriser auparavant. Arod n’avait plus rien. Serrant les poings, il veut maudire tous ces dieux qu’il a priés inlassablement jusqu’ici mais c’est alors qu’un reflet rouge attire son regard. Sur le miroir de la chambre de sa sœur, en lettres de sang, se trouve un nom, inscrit de l’écriture de sa mère. ANDREALPHUS.