Sujet: I HURT MYSELF TODAY • Aileas. Mar 9 Avr - 1:30
Le bruit du moteur rouillé crachote dans la cour. Crissements de pneus, et freins usés, c’est en trombes que Callaghan range sa bécane. Pas vraiment vite. Pas vraiment pressé. De manière assez brusque et hachurée, pestant de temps en temps dans un gaélique pâteux et grossier. Sur le béton et les quelques graviers, sa démarche tambourine comme s’il piétinait des insectes, frôlant de temps en temps la caillasse de ses semelles vieillies. Il frappe dans un jerrican noirci de mousse et vidé depuis des lustres, qui dans un capharnaüm de plastique asséché se retrouve à côtoyer de hautes herbes folles bordant un mur de briques de l’usine désaffectée. La baraque donne envie de chialer toutes les larmes de son corps, tant elle décourage et renvoie à la gueule, tout le précipice abyssal dans lequel cette nouvelle civilisation coule, et dépérit. Mais Dorian l’aime, cette masure sans teint ni charme. Il y trouve le réconfort adéquat, et le confort minimaliste dont il a toujours su profiter et exploiter. Il y était bien, avant, sans emmerdes ni vagues. Sans cris, ni silhouettes autres que la sienne. Personne pour le juger, ou sur qui veiller. Sa carrure surmontée de son blouson s’avance devant la porte en fonte, d’un genre que l’on trouvait sur les navires militaires, au mécanisme de poulie et à la poignée circulaire. Aussi étrange que cela puisse paraître, le bastion fortifié s’ouvre avec une clé, et, le scientifique amoché a beau chercher dans les poches de son jean déchiré, il ne trouve guère qu’un briquet, des saloperies récoltées il ne sait plus trop comment, un dessous de verre en liège recyclé, avec une adresse griffonnée au stylo d’encre noire, et un écrou borgne de petit calibre, enduit d’une graisse huileuse. Nouveau bafouillage aviné, un rictus d’énervement profond calligraphiant sa mine mal rasée, et d’un geste las et habitué, sa main passe devant la serrure qui s’ouvre dans un cliquetis sonore. C’est bien peu, et c’est bien déplorable, comme intervention surnaturelle, mais suffisamment pour qu’à la base de sa nuque, les veines s’intensifient d’un bleu luminescent.
Il pénètre dans l’habitacle, embaumé par des senteurs de tabac roulé, nuancé par du brun de cigare, et enfiévré par les effluves reconnaissables d’alcool. Il ne prend pas la peine de refermer, et enlève péniblement son pardessus en poursuivant sa marche et traçant dans la cuisine sans une œillade aux alentours. Il a la migraine et déteste être pinté. Le blouson atterrit sans grande mesure sur le vieux canapé tout de tissu défoncé, et un peu plus loin vers l’espace multimédia se dresse un petit tas avachis sur son trône de misère. Lison, qui jusque là devait somnoler, et qui à l’entente de l’ours maladroit, papillonne de son regard, en serrant de plus belle la télécommande d’un noir délavé sur sa petite poitrine courbée. Dorian stoppe sa déambulation et pose sur elle le poids des reproches. Il est furieux. Il éprouve l’envie viscérale de la gifler droit sur son minois de chatte des gouttières, et il se dit aussi qu’elle est belle. Bandante. C’est la gnole qui parle, assurément, et d’un geste lent, il redresse un bras.
« Mais qu’est-ce que tu foutais … ? il réclame évasif, le regard vaporeux, et pourtant fissuré de minuscules veines rouges indiquant une tension plus que menaçante. À quoi est-ce que tu joues ?! elle détourne son minois, l’air renfrogné, ou juste perdu. HEY. J’te cause, il crache et se rapproche d’un pas, mais toujours assez loin, heureusement. Ça t’fais marrer de te casser sans me prévenir, sans même me dire où tu détales ? Ça fait des jours que tu t’amuses à disparaître pour revenir à la tombée de la nuit, je suis censé deviner tout seul ce que tu glandes ? il attend, patiente, la tension engluant l’atmosphère, et résolument muette, la gamine fige le dossier de son fauteuil décrépit, l’une de ses mains grattouillant nerveusement le rebord de l’accoudoir, qu’elle a attaquée de ses minuscules pattes, depuis qu’elle a débarquée dans sa vie. — Lison, il appelle, la voix grondante, et le thorax vêtu d’un marcel gris se surélève dans une prise de souffle. LISON, il finit par éructer, n’obtenant que l’effet inverse de sa remarquable éducation et communication intergénérationnelle ; habile comme un petit oiseau, la libellule se libère de son cloitre, lâchant la télécommande qui s’écrase à terre, et contournant le vieux canapé, un avant-bras porté sur son minois qui renvoie des lueurs carmines. »
Il hurle encore. Lui dit de revenir. Il embraye quelques foulées jusqu’à elle, mais la frêle silhouette s’enferme dans la salle de bain, en lui claquant la porte au nez. Le verrou tourne, et Dorian s’en fout. De l’identique manière qu’il a ouvert la porte d’entrée, il ouvrira cette foutue serrure d’un geste de main. Mais derrière lui, un bruit l’alerte. Il détourne ses larges épaules, et plante ses yeux clairs sur la seconde femme de ces lieux. Il ne sait pas si elle vient d’arriver, ou si elle a juste traversée toute la pièce pour aller fermer ladite porte qu’il n’a pas rabattue. Mais il lui faut un bouc émissaire, tout de suite, et puisque la présence d’Aileas lui interdit d’user de sa sorcellerie, c’est sur elle que son entière fureur retombe.
« BORDEL DE MERDE. MAIS VOUS VOUS CROYEZ TOUS DANS UN PUTAIN D’MOULIN À VENT ?! C’est prodigieux, le temps qu’il a fallu à cette baraque pour devenir un refuge d’épaves ! Un hôtel à parasites ! Le plat de sa main s’explose contre la paroi séparant la môme de sa colère, et en quelques enjambées, il dérive en grognant et proférant d’innombrables palabres toutes plus avenantes et sympathiques les unes que les autres. — Mais allez-y, faites comme chez vous. Envahissez, piétinez, squattez, bouffez dans mon frigo, j’vous dirais rien. NOM DE DIEU, il articule en redressant son menton hirsute vers la jeune femme, avant d’indiquer d’un doigt inquisiteur, la sale de bain. — Depuis quand est-ce qu’elle se barre comme ça ?! Y’en a pas UN SEUL pour veiller sur cette peste, pendant que j’me tue à réconforter la misérable vie des autres. En plus de faire dans le solidarisme jobard, je dois AUSSI jouer les assistants sociaux quand je rentre ? »
I HURT MYSELF TODAY • Aileas.
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