- « Attends... »

Face à toi, une des ces âmes déchirées que vous avez récupérées au plus profond des Enfers. Il est un dernier à être resté ici. Les autres mutants sont partis : certains chers les leurs, d'autres ont préféré rejoindre les égouts et autres endroits glauques où ils peuvent passer inaperçus. Mais celui-là est resté. Personne ne pensait qu'il résisterait. Son corps, bardé des zébrures étranges tremble encore. Il a repris un peu de poids, un peu de force. Mais son regard devenu à moitié aveugle est resté le même. La peur le bouffe et il n'arrive pas à se défaire de ses mâchoires.

- « Morgan, écoute... »

Ta voix est douce, à l'instar de tes gestes. Chacun d'entre eux est réfléchi, exécuté avec patience et précision. Tu n'as jamais vu une peau si fragile, le simple fait de l'effleurer t'angoisse un peu. Mais dans un sursaut soudain, ton vis-à-vis disparaît. Tu ressens encore sa présence sous tes doigts mais ta vision est bien incapable de repérer sa silhouette. C'est ce qui avait failli le condamner, le jour où la Résistance avait démantelé le camp de régression dans lequel il était fait prisonnier. Paniqué, le mutant avait activé sa déchirure sans même plus s'en rendre compte. Seul le souvenir d'une cage isolée occupée par un être souvent absent t'avait permis de le repérer. Ce jour-là, tu t'es disputée avec Wallace. Violemment. Il t'avait dit de partir te réfugier dés le début des opérations. C'est qu'il craignait qu'on te prenne pour cible, dans le cas où on avait compris ton rôle au sein de cette affaire. Tu n'avais pas écouté, bien sûr. Tu as ramené cette âme oubliée dans ton foyer, dans votre foyer. Le technomancien avait refusé de comprendre ton geste. On ne risque pas sa vie pour mort avait-il proclamé. De quoi te plonger dans une colère sourde qui avait failli lui éclater à la figure. Mais tu avais préféré te concentrer sur le corps brisé que tu avais ramené, transformant les sentiments noirs en bonnes vibrations. Tu devais prouver à cet homme que ton protégé survivrait.

Pourtant, il y a eu des morts. Des blessés, des malades, des fous à lier. Mais Morgan a résisté. Le plus dur, sans aucun doute, ça a été la désintoxication. Le corps a eu du mal à se défaire des drogues dont on l'a gavé dans les camps, incapable qu'il était de reprendre un rythme normal. Mais tu t'es tenue à ses côtés. Et aujourd'hui encore, tu es là. Tu adresses un sourire au vide, une vision réconfortante qui fait réapparaître le disparu. Dans son monde d'obscurité, tu sais que tu es l'unique repère, l'unique lumière.

- « Tout va bien. »

Ses mains cherchent les tiennes, agrippent les doigts avec la force de la terreur. Alors tu t'approches doucement, réconfortes l'âme en peine entre tes bras. Tu n'as jamais réussi à savoir combien de temps il a passé dans cet Enfer. Il semble n'avoir jamais rien connu d'autre que la souffrance et le désespoir. Un peu de répit le fait soupirer et, délicatement, il pose la tête contre ton épaule. Mais tu remarques que son regard fou est attiré par quelque chose ; la silhouette de Wallace dans l'encadré de la porte. Tu sais ce qu'il en pense encore aujourd'hui et ne prêtes pas attention au au coup d’œil sinistre qu'il te lance.

- « Ils l'ont brisé. Tu n'arriveras jamais à le retaper. Laisse-le partir bon sang.»

Tu sais ces choses, mieux que quiconque à vrai dire. Mais tu n'es guère partisane de ceux qui pensent qu'il faut laisser partir les âmes torturées. Tes pupilles s'assombrissent. Tu n'aimes pas qu'il dise ce genre de choses devant lui. Comme s'il n'existait pas. Mais tu l'ignores, royalement. Tu ressers l'étreinte sur ton protégé.

- « Aujourd'hui, il va mieux. Et bientôt tu iras bien. » Posant un délicat baiser sur le front du principal intéressé, tu essayes de le convaincre lui-même. Toi, tu y crois de tout ton être même si, quelque part, au plus profond de toi, tu sais très bien que plus rien ne va bien depuis très longtemps. Mais tu repousses violemment cette idée, préférant fredonner une chanson calme dont tu ne te remémores que la mélodie. De quoi apaiser l'âme tourmentée et faire fuir le détracteur. Tout ce que tu avais espéré.