Petites toxicités entre amis

- J'dois avouer que j'te tenais pas en haute estime mais là tu bats des records de connerie.

L'accueil est aussi toxique que l'air ambiant, et elle sait déjà que cette nocivité va aller crescendo.

- Surveille tes mots, j'suis pas ici par plaisir mais pour le travail.

En face d'elle, l'homme hausse les épaules. L'hostilité dans l'air est palpable, résidus tenaces d'une vieille querelle de dix ans. Il n'aura pas fallu plus d'une poignée de secondes pour qu'il la reconnaisse, juste lorsqu'elle a ôté son masque. Et les gars autour d'eux ont fait une drôle de tête quand ils ont vu la gueule de leur supérieur se décomposer.

- Je doute qu'il veuille travailler avec toi.
- Je sais bien.
- Je suis sérieux.
- J'ai très bien compris.
- Non mais t'as pas l'air de comprendre.
- J'ai dit que j'ai très bien compris, s'impatiente-t-elle.

Elle le lorgne d'un regard appuyé. Il ne tique pas et se contente de hausser de nouveau les épaules.

- J'vais avec toi alors. Faudrait pas qu'il fasse exploser la baraque parce que t'es là, lâche-t-il d'un ton exempt de sarcasme.

Iona sait qu'il ne plaisante pas. L'homme qu'elle vient voir ne la porte pas dans son cœur, et c'est loin d'être un secret. Elle devrait s'en faire. Et la vérité c'est qu'elle n'en mène pas large. Sans la présence d'Ash à ses côtés, elle fait pâle mine l'humaine. Elle est petite. Le regard haut certes. Tâchant de ne pas perdre contenance. Mais au fond elle se sent tellement petite. Elle sait qu'autour d'elle, beaucoup ne sont plus tellement humains. Même l'arme accrochée à sa ceinture est sans intérêt. Arme que son ancien ami lui retire tout de même, par pure précaution bien sûr.

- Oh et pas la peine de garder tout ton bazar, l'air est recyclé ici.

D'un geste hésitant, elle retire son masque. Il lui faut quelques secondes avant de s'autoriser à respirer. Vestfold n'a pas menti. Ca sent le moisi et la pisse, ou du moins en a-t-elle l'impression, mais ça n'a pas l'air d'être toxique. Alors elle se contente de plisser le nez sous le regard goguenard et plutôt insistant des pirates. Elle se garde de le leur rendre. Ca pourrait être une invitation à la bagarre, et autant garder ça pour la confrontation qui s'annonce. Elle suit donc le bras droit du leader, et son ancien associé accessoirement, dans le plus grand silence. Gardant ses forces pour le boss final.

Au détour d'un couloir, il y a une porte. Et c'est devant cette même porte, dans un même état de décrépitude que le reste, que Vestfold s'arrête. En pivotant sèchement, il lui fait face, et d'une voix qui n'accepte pas de négociation, il lui ordonne de l'attendre. Un pur réflexe la fait obéir d'un hochement de tête. Pas de soucis. Vestfold disparaît alors.

A travers la porte, elle entend une conversation indistinctes, les voix étouffées par l'épaisseur des murs, et puis soudain un grand silence. Une quiétude inquiétante d'une poignée de secondes tout juste, avant que la gueulante d'un homme en colère ne fasse tout sauter. Une autre plus calme, celle du bras droit, tente de raisonner l'énergumène.

Et puis la porte s'ouvre en grand. Des traits familiers apparaissent. Ils sont plus vieux, plus gros, plus colorés, parfois même plus ridés par endroits. C'est Bogdan Wittembach. Dix ans de plus dans la gueule, tout comme Vestfold, mais toujours le même. Une gueule déformée par la colère, maintenue sous contrôle par les capacités de Vestfold.

- Salut Bogdan.

Elle se paye le luxe de lui lancer un simple sourire.

- T'as pris du bide depuis la dernière fois.

Juste une pique avant que l'engueulade ne tombe.

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Petites toxicités entre amis

- Allez princesse, réveille-toi, j'ai une bonne et une mauvaise nouvelle pour toi.

Il n'y a que Godfred pour parler de cette façon. Rares sont les gars qui ont le cran de le faire - parce qu'ils savent qu'ils risquent de se ramasser un sacré poing en pleine figure. Même si, à vrai dire, tu n'es jamais contre un peu de camaraderie - ce terme équivalant à une bonne petite bagarre. Ça forge les caractères et les amitiés ce genre de choses. Mais à l'instant tu n'as pas envie de te battre. Tu voudrais plutôt savoir ce que ton bras droit est en train de te dissimuler. Tu le sens un tantinet tendu et cela t'intrigue. Qu'est-ce qui est assez grave pour que ton ami le plus proche cherche ses mots ? Allongé dans la demi-carcasse de pneu de tracteur qui te sert de lit - c'est qu'on fait avec ce qu'on a -, tu te redresses pour faire face à Godfred. Celui-ci reste un instant silencieux avant de plier devant ton regard insistant.

- La... bonne nouvelle c'est que j'ai flairé un suuuuper contrat. Une affaire en or.
- Mais ? Godfred grimace. Il ne sait pas par quoi commencer. Cela t'énerve, tu sens tes muscles se crisper et ton vis-à-vis le perçoit. Il souffle longuement avant de reprendre la parole.
- Ca me semblait pas nécessaire de te le dire jusque là mais y a un bout de temps j'ai croisé... Il s'arrête un instant. Lève-toi. Tu le défigures d'un regard plein d'incompréhension. Tu sens la tension s'installer et cela t'énerve terriblement. Bogdan, lève-toi. Regarde-moi. Dans les yeux. Tout cela n'augure rien de bon. Tu obéis en grognant, la peau frémissante et le regard enragé.
- Iona. Le nom a l'effet d'une bombe. Tu te redresses d'une fois, ton sang ne fait qu'un tour.
- QUI CA ?
- Iona. C'était pas très important, on s'est juste croisés. Et vu que je savais que tu réagirais comme ça, j't'ai rien d...
- Elle est là ?

Tu as compris plus vite que prévu. Godfred se tait soudain, un peu surpris. Sa tête penche étrangement vers la droite. C'est que tu l'as vraiment pris de court et le voilà dépourvu de tout plan.

- REPONDS-MOI !

Tu ressens ton corps qui gronde, ta respiration s'accélérant. Tu t'ébroues soudain, tentent de garder le contrôle. Ta déchirure est là, frémissante sous l'effet de ta colère noire, prête à se manifester. Godfred l'a bien compris. Il sait que dès que tu en auras l'occasion, tu tenteras de butter votre invité. Alors il use de sa propre mutation, sans plus attendre.

- Je sais... je sais que tu la hais - et je ne l'apprécie pas non plus, hein, qu'on se le dise mais... Bogdan. Elle travaille avec les Vrijbuiter. Tu comprends ce que je dis ? Si tu la touches Bogdan...

Tu calmes ta respiration, la rendant profonde et contrôlée. Tes mâchoires se serrent avec une telle violence que tes dents en grincent. Oh oui tu as compris et cela ne te plaît pas. Cela ne te plaît pas du tout. Sans plus de cérémonie, tu ouvres violemment la porte. Derrière toi, tu perçois Godfred sursauter : la situation lui échappe et même s'il a réussi à te contrôler, il craint que son emprise sur toi ne s'estompe trop vite. Elle est là. Elle est bien là. Elle te lâche un sourire. Et une pique. Tu restes un moment immobile. Tu es en train de t'assurer qu'aucune transe surprise ne risque de te tomber dessus. Mais tu ne peux pas empêcher ta respiration de s'intensifier, ton pouls de s'accélérer. Elle a voulu te tuer, bon sang. Ta main s'écrase violemment contre le mur qui se trouve derrière elle, à quelques centimètres de son visage.

- Qu'est-ce que tu fous là ? Ta voix gronde d'une colère sourde et ravageuse. Quelle frustration de ne pouvoir la toucher. C'est qu'elle s'est bien planquée. Tu la détestes encore un peu plus, juste pour ça. Tu comptes terminer ce que t'as pas réussi, hein ? Dans ton esprit, sans doute est-elle venue pour te tuer ou encore est-elle accompagnée d'une armada de blade runner - mais où les a-t-elle cachés ? Tu te retournes soudain vers ton bras droit. Tu l'as fouillée ?
- Me prends pas pour un con. Godfred est blasé. Il sait que la journée va être longue. Très longue.
- Qu'est-ce que tu fous ici, hein ? Avec qui tu travailles ? Oh oui, c'est très certainement une espionne. Un double-agent, ce genre de choses. Et dans ce cas, elle va sûrement tout te dire. Ton poing se crispe contre le mur sur lequel ta main est toujours posée. Et tu maudis les Vrijbuiter de te l'avoir fichue dans les pattes.

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Petites toxicités entre amis

Le poing qui s’abat violemment contre le mur la fait frissonner. La paroi en tremble, et le fracas résonne dans le tunnel. Elle a peur la Iona. Bogdan a cette lueur de folie dans le regard qui lui fait entrevoir des choses pas tellement géniales. Une peur qu’elle tente de dissimuler derrière un regard dur. Ca ne marche pas vraiment. Elle se revoit dix ans en arrière, fuyant ses yeux et la nature de mutant de cet homme. Et la perspective d’y être confronter de nouveau lui inspire à peu près tout sauf de la joie.

Alors elle déglutit doucement, cherchant du regard le bras droit de Bogdan pour y puiser un peu de courage. Ca marche plutôt bien. Alors elle retourne son attention sur Bogdan. Il occupe tout son espace vital, impose sa présence avec force. Elle sait néanmoins qu’il a les poings liés, façon de parler. Et bien cela ne fasse que l’énerver davantage, il ne pourra rien lui faire.

Et puis, malgré tout, elle ne l’a jamais vraiment détesté. Juste elle avait peur de lui.
Pas vrai?

- Tu te trompes Bogdan, calme-toi. Sa voix s’est faite plus douce. Elle tente d’être ferme tout de même, estimant qu’elle ne peut lui laisser prendre toute la victoire. Rien de plus normal. Après tout n’a-t-il pas été un temps qu’ils étaient tout deux égaux? Amis même. Cette pensée la dérange. Elle y a souvent pensé ces dernières années, mais a toujours conclu qu’elle avait pris la bonne décision. Je travaille avec le Syndicat, ajoute-t-elle ans un murmure. Avec les vrijbuiters tout comme toi, précise-t-elle,

Ses doigts se lèvent, mus par une volonté un peu folle, et se posent sur le bras de Bogdan, le forçant à s’éloigner d'elle. Sa force contre la sienne ne vaut rien, alors elle essaye de ne pas brusquer les choses.

- Un convoi de marchandises va bientôt être envoyé à Pinxit mais cette fois-ci, les renseignements ont su qu'il avaient décidé de passer par une nouvelle route. Les effectifs de sécurité doublés. C’est pour cette raison que les vrijbuiters ont besoin de votre aide sur ce coup. Attaquez le convoi et vous aurez 5 % de tout ce que vous trouverez.

Elle sait que cette récompense est grande et alléchante malgré le chiffre plutôt ridicule qu'elle lui balance. En laissant son regard errer dans le tunnel, elle ajoute :

- Je serai là pour superviser le tout, même si tu n'aime pas ça, pense à tout ce que tu pourras récupérer, je crois que ça ne sera pas de trop par ici.

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Petites toxicités entre amis

Que Godfred et elle tiennent le même discours t’énerve encore un peu plus. Tu te sens comme un lion en cage. Et dire qu’elle ose poser la main sur toi. Tu fuis le contact d’un geste brusque. Tu t’écartes d’elle, détournes le regard pour te concentrer sur autre chose – quelque chose que tu pourrais éclater sans risquer de déclarer la guerre à ton propre employeur. La paroi métallique en fait de nouveau les frais. Au fond du couloir devenu défouloir, une ou deux têtes jettent un œil avant de déguerpir en croisant ton regard de glace. Pour sûr que la rumeur se lève au sein de votre forteresse. Peu savent qui Iona est à tes yeux mais tous ont compris que quelque chose clochait.

Sous ta peau, le frisson caractéristique d’une colère qui ne demande qu’à sortir. Godfred a réussi à capter à nouveau ton attention. Il a le regard inquiet du dresseur de fauves en mauvaise position. Il tente de faire bonne figure mais l’étincelle d’angoisse coincée dans ses pupilles le trahit. Iona a le même regard. Ils te craignent. Tu es un monstre qu’ils craignent. Cette pensée a le don de te forcer à te canaliser. Si imposer la peur à l’intruse n’est pas une mauvaise chose, inspirer le même sentiment chez tes hommes est une source certaine de doute et de désagrément. Alors tu calmes le jeu, reprends le dessus sur ta déchirure grondante. Tu te concentres sur chacun des mots de l'invitée peu désirée, écoutes chaque syllabe avec toute l’attention du monde. Quand elle a fini de déblatérer ses directives, tu lui jettes un mauvais regard par-dessus l’épaule. De toute évidence, ce n’est pas elle qui a demandé à travailler avec les Pirates. Avec toi, surtout. Tu souffles bruyamment, tentant d’expulser le trop plein d’énergie négative qui brûle en toi. D’accord. Tu lèves les mains. C’est un événement rare mais tu capitules. Le Syndicat veut que tu bosses avec quelqu’un qui a essayé de tuer et qui est peut-être encore en train essayer de le faire ? D’accord. Si c’est ce qu’ils veulent. Mais tu leurs fera payer. D’une manière ou d’une autre. Tu trouveras bien. Et puis, 5% d’un convoi, ce n’est déjà pas mal comme compensation. Tu peux faire un petit effort.

L’air un peu plus calme – même si, à travers tes veines, on peut clairement percevoir le battement effréné de ton cœur – tu te rapproches à nouveau de ta compagne du jour. Tu soupires doucement cette fois-ci avant de plonger ton regard dans le sien.

- D’accord. C’est un murmure. Tu as encore un peu de mal à l’avaler et tu crains presque de ne le dire trop fort – cela paraîtrait si réel. Ton regard s’assombrit tandis que les souvenirs te reviennent en tête. Il fût un temps où vous étiez de très bons associés. Un temps si lointain qu’il te semble imaginaire. Tu acceptes de travailler avec elle mais à la condition d’éclaircir cette affaire qui te vaut de désirer sa mort depuis tant d’années déjà. J’accepte à une condition. Tu te redresses de tout ton haut, surplombant sa silhouette de tout ton être. Si être la proie d’une horde de Blade runner était finalement monnaie courante, c’est surtout son geste à elle qui lui a attiré tant de haine. Elle t’avait abandonné. Ou pire : vendu. Tu n’en as jamais rien su jusqu’ici, te contentant de suspicions conduites par la colère. Alors aujourd’hui, tu saisis l’occasion. Il faut que tu saches. Tu vas me dire pourquoi t'as essayé de me buter il y a dix ans de cela.

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