Les rues du ghetto ne sont jamais sûres. Il y a toujours une menace qui pèse quelque part. Même quelqu’un comme Moïra, quelqu’un qui est précieux pour des gens tels que le syndicat, le triumvira, dont la simple évocation tire des frissons chez certains, et de véritables pièces d’or dansant dans leurs yeux à d’autres, sait ce qu’est la peur du noir, la peur du bruit des pas derrière vous quand vous marchez dans la rue, la peut du type masqué et cinglé qui voudrait vous arracher un membre ou deux juste pour le plaisir de vous entendre hurler, la peur de tomber sur plus fou que vous, plus méchant que vous, un illuminé ou un fou de la gachette. Même les blades sont pourris jusqu’à la moelle. Vous croyez réellement qu’ils sont là pour vous protéger ? Une cité du vice telle que Edimbourg a toujours quelque chose à vous vendre, quelque chose comme de la terreur. Quand les hurlements retentirent, la zombie attendit de voir de quoi il s’agissait avant de frémir. Peut-être que ce n’était qu’un cas isolé. Même si elle avait étreint la mort en son sein, l’avait appelée jusqu’à elle, sa peur finissait par l’emporter et la pousser à suivre la foule mouvante jusqu’à ce qu’elle n’eut plus le choix. Accueillir la mort en soi quand on sait qu’on va au devant d’autre chose c’est facile, mais accepter la fin définitive s’en est une autre. Moïra s’était zombifié parce qu’elle redoutait la mort.

Quand la foule cessa de courir, elle compris qu’ils s’étaient réfugiés dans un cul de sac. Plusieurs d’entre eux le réalisèrent. Un vent de panique souffla dans le petit groupe d’hommes et de femmes qui se trouvait acculé là. Les balles continuaient à fuser autour d’eux. L’une d’elle se ficha dans le corps de l’homme à côté d’elle. Une jeune fille aux cheveux blonds se pencha sur l’homme tombé à terre. Moïra était médecin. Elle n’avait pas pratiqué depuis un paquet d’années mais le corps humain c’était comme le vélo, ça ne s’oubliait pas. Aussi se pencha-t-elle à son tour au dessus de l’homme tombé à terre. Touchant le corps brûlant de l’homme, elle ne tarda guère à voir l’impact de la balle, juste au niveau des intestins. Outre la perte de sang, si les intestins étaient touchés il lui restait probablement huit heures avant qu’il ne meure. A la citadelle, il serait sauf, la technologie là haut pouvait vous réparer intégralement mais ici ? De plus, les balles pleuvaient, et les issues semblaient condamnées jusqu’à ce qu’un homme n’essaie de soulever une plaque d’égout. Par là ! fit l’homme suivit aussitôt par plusieurs hommes qui l’aidèrent à dégager la plaque et ouvrir le puits. Les anciens égouts n’étaient plus utilisés mais on les disait habiter par les mutants, ceux échappés du camp de régression, les pires spécimens, les plus dangereux.

« Cet homme est mal en point, je suis même pas certaine qu’il survivra à un déplacement. » fit-elle en songeant qu’ils n’avaient sans doute pas le choix. Observant la rue principale où les tirs gagnaient en intensité et le cul de sac derrière eux, elle en conclu qu’ils n’avaient pas d’autres options. Mais se glisser là dedans avec un type avec une balle dans le coffre, c’était de la folie. Un homme qui s’était penché vers elles en leur demandant si elles suivaient. Moïra regarda l’homme qui agonisait à ses pieds. « Nous devrions l’emmener, au moins le cacher quelque part à l’abri. » Vous êtes folles pensa le type, mais il ne répondit rien, se contentant d’hausser les épaules. Moïra regarda la jeune femme qui était penchée sur l’homme aussi soucieuse qu’elle de sa survie. Elle n’était pas certaine de tenir à le sauver, plus qu’à sa propre vie, évidemment, mais elle ne se voyait pas abandonner l’homme à la merci des balles. S’il mourrait, elle pourrait le ramener. A condition qu’il accepte, évidemment. Mais l’idée pouvait être amusante. Et aurait le mérite de lui faire penser à autre chose qu’à sa terreur grandissante. « Vous avez une chance de vivre, mais si vous mourrez, je peux vous ramener, si vous me le demandez. » glissa-t-elle a l’oreille de l’homme avant de se redresser et de regarder la jeune femme. « Vous avez l’air de tenir autant que moi à ce qu’il vive, aidez moi à le déplacer en douceur. » demanda-t-elle à l’inconnue. La zombie possédait une force phénoménale grâce aux drogues et pourrait aisément soulever l’homme toute seule, mais elle ne pourrait certainement pas lui assurer ce voyage en toute tranquillité.  

A l’instant où elle s’était penché sur cet homme et en avait examiné les blessures celui-ci était devenu son patient – pas sûr qu’il en soit si heureux que cela. Cela voulait dire qu’elle ne l’abandonnerait pas dans la rue sous le feu nourrit de cette guerre inepte que se menait les blades runners et les halloweeners à moins qu’il ne s’agisse d’une autre bande de clown armés et ultra violent. Moïra se fichait bien de leur revendication. Elle ne voyait là qu’un beau gâchis. En tant que femme autant qu’en tant que scientifique elle ne pouvait comprendre l’intérêt de la violence. Même si, celle-ci pouvait être belle, d’une certaine manière, quand on voyait le cheminement chimique du cerveau y menant. Mais de ce point de vue, toute ineptie humaine pouvait devenir belle. Même l’agonie d’un homme à vos pieds pouvait être belle, si l’on cherchait bien. La doctoresse était étonnée de l’attachement de cette jeune femme à aider cet homme. C’était elle qui par son cri avait alerté Moïra, elle qui visiblement choisissait de ne pas renoncer alors que tous les autres cédaient déjà à la panique. Etait-elle médecin elle aussi ? Non, elle n’avait même pas chercher à examiner la blessure. Elle semblait apporter un soutient moral. Peut-être une psychologue au chômage… mais c’était impossible. Une telle profession n’existait plus qu’à la Citadelle, et cette jeune femme était trop jeune pour l’avoir exercé quand il existait encore un semblant de civilisation.

A défaut d’avoir son assistant sous la main ou une infirmière, Moïra échangea un regard avec la jeune femme et compris que celle-ci l’aiderait, quoi qu’il lui en coûte, tant qu’elle aidait cet homme. La jeune femme semblait avoir une haute morale, chose très rare au sein du ghetto. Moïra se serait méfié de toute personne vous jugeant d’un regard hautain comme elle l’avait fait juste avant avec cet homme. Mais elle était jeune. Et sans doute avait-elle une famille, un clan, quelques personnes pour s’occuper d’elle. Qu’importait, pour le moment, elles avaient le même but commun. Ensuite, advienne que pourra !
La scientifique entendit les menaces de la jeune fille et souleva un sourcil à l’évocation de la déesse de la guerre. Il n’était pas rare de nos jours de croiser des croyants. Plus la misère s’étendait, plus la foi s’emparait des esprits. Les malheureux trouvent toujours du réconfort dans la religion, et celle-ci s’assure toujours d’affermir sa prise sur eux. Moïra détestait les religions de toute sorte, en tant que scientifique elle n’y voyait qu’une vaste arnaque. Mais elle se gardait bien de le dire ouvertement. Elle ne se souvenait que trop bien du traitement qu’on avait réservé à Copernic et à Galilée. Aussi se contenta-t-elle d’ignorer la foi de son assistante de substitution et lui parla comme si elle était dotée de raison comme n’importe qui.
Bien sûr, elle ne remarqua pas la frayeur soudaine de la jeune femme, elle s’était par trop habituée au regard que lui portait les gens. Tôt ou tard, ils réalisaient ce qu’elle était, la plupart tentaient de masquer leur dégoût, certains étaient fascinés mais ils étaient rares. Les zombies évoquaient plus la grand faucheuse que la vie éternelle pour le moment. Mais elle ne désespérait pas que les choses changent. Quand elle aura libéré les zombies du joug de Pinxit, les gens verront tout le profit qu’il y a à l’être dans un monde en décomposition où l’eau devient toxique et les pluies se font acides.

« Il va falloir compter seulement sur nous deux, et le déplacer sera pas une tâche aisée. Vous êtes plus petite que moi, et par votre nature, moins costaux, ainsi, vous passerez en dernier, et vous tiendrez sa tête de manière à ce qu’il ne se cogne pas pendant la descente. Quand à moi, je serais en dessous, et je veillerais à ce qu’il descende en douceur. S’il commence à convulser pendant la descente, avertissez moi. Et s’il semble devenir tout froid, et que son cœur ralentis, avertissez moi également. » C’était beaucoup d’informations d’un seul coup d’autant que le feu nourri des balles et les cris de frayeurs les entourant pouvait rendre le flux plus complexe à intégrer. Aussi demanda-t-elle : « Avez-vous compris ? » avant de se préparer à soulever l’homme.