— Blake !
Ça gueule à l’autre bout de la bâtisse. Un cri rauque, un ordre sous-jacent, délicat « ramène ton cul connard » dont il entend la délicatesse, mais n’écoute jamais.
— Blake !!
Rakovski se ramène, genre furieux. Comme d’hab. La face rouge constellée de gouttes de sang et les mains inondées de ce même fluide comme s’il venait d’éviscérer un gars à l’ancienne – attendez, quoi ? Blake est sensible à cette odeur, son nez frémit, mais il fait toujours mine d’ignorer son commandant. Assis à une table, jambes croisées dessus, il semble ailleurs. Quand Rakovski lui arrache un écouteur, non sans tartiner son oreille de sang, il attire enfin son attention. Blake lui jette un regard étonné, papillonnant des paupières comme un mec tout juste réveillé. La brute le chope au col.
— Quand je t’appelle, tu rappliques. Vu ?
Joueur, Blake le gratifie d’un sourire en coin.
— Tu me prends pour ta chienne ? Ou ta femme, c’est la même.
Le voilà accueilli par un direct du droit mérité. C’est comme ça que ça marche.
— Ferme ta gueule et bouge ton cul.
Il crache un délicat mélange de salive et de sang, dont il lèche le résidu sur ses lèvres. Puis, il salue Rakovski d’un signe de la main.
— Tout de suite chef.
Il se décide enfin à abandonner sa playlist de cyber rock et à se lever. Signer sa reddition ? Jamais. Il continue sa bataille de regards contre Rakovski, non sans sourire, tout en se dirigeant vers le sous-sol.
— Putain d’américain.
L’escalier grince. Cannettes vides et détritus divers en jonchent les marches. Blake semble les éviter comme par enchantement, marchant de son pas léger vers les entrailles du squat. Au fil de sa descente, un souffle mourant atteint ses oreilles. Là, au milieu de la cave, un type en costar-cravate déchiré est attaché à une chaise. Un sac ensanglanté cache son visage.
Skylar s’avance sans un bruit. À l’instant où ses doigts viennent effleurer la victime, celle-ci sursaute et se remet à chialer.
— Chhht… Chhht…
— Pitié…
En un geste, Blake lui rend la vue. Il se met à sa hauteur et la regarde un moment. Il a affaire à un quinquagénaire dont le visage désormais méconnaissable, teinté d’hémoglobine et inondé de larmes, fut celui d’un éminent lobbyiste anti-Pinxit. En voyant Skylar, il hoquète. Terreur ? Non… dégoût.
— Vous êtes un des chiens de Pinxit, c’est ça ?
Sourcils froncés, Skylar s’interroge. Il lance un regard à sa clavicule, cachée par son manteau… là où la marque de Pinxit est imprimée dans sa chair. Comme on ferre un esclave. Comment il le sait, ce con ? Personne n’est censé connaître l’existence de leur escouade.
— Reichstadt a de nombreux secrets. Il est difficile de tous les dissimuler.
Blake reste silencieux un moment. Finalement, il lève un index comme touché par l’illumination :
— C’est donc parce que tu es un fouineur que tu es là. Entre autres.
Le gars le fixe. Il semblerait que de « pitié » à « va te faire foutre », il n’y a qu’un pas.
— Je n’ai aucune leçon à recevoir d’une saloperie de dvoïnik.
Touché !
Faux. Blake en a rien à carrer. Il fait mine d’être vexé.
— Tu me fais du mal, tu sais. Je vais pleurer.
— Tu es un élément jetable, voilà tout. Sitôt atteint le stade de non-retour, ils se serviront de toi comme d’un rat de laboratoire.
Already done, se dit-il. Blake garde le silence. Il a envie d’oublier ce moment de sa vie. C’est comme s’il ressent à nouveau la douleur, dans sa chair, sillonnant ses cicatrices. On a testé sa résistance, ça oui. On a joué avec lui. Comme il joue maintenant. Proie devenue chasseur.
— T’essaie de faire quoi, là ? Tu veux me retourner contre mes « esclavagistes » ? (Il rit.) Quand je serais « au stade de non-retour » comme tu dis, on me collera une cartouche dans le crâne. Point. En attendant, je me démerde mieux que tous mes semblables. (Il lui tira la tête en arrière.) Tu sais quoi ? J’emmerde Reichstadt, comme il me crache dessus. J’emmerde les mutants. L’un me file du pognon pour éliminer les autres – et j’oublie les extras. L’argent, c’est le nerf de la guerre et tu le sais. Moi, ça me va.  
Une ouverture. Le gars dévisage Blake comme s’il venait de lui sauver la vie.
— Je… J’ai de l’argent ! Je te donnerai le double de Reichstadt !
— Tsk tsk tsk.
Une nano-lame glissa du fourreau de son bras augmenté. Blake la glissa sous la gorge de sa victime, tout en discutant. Il le gardait contre lui, comme s’il l’enlaçait, tout en menaçant de l’égorger tel un cochon d’un instant à l’autre.
— J’en ai chié pour en arriver là. Je suis loin de vivre un rêve, mais j’ai mon petit confort. Et ça, je le dois à Reichstadt. Comme je lui devrais ma souffrance s’il me renvoyait d’où je viens.
Tu vois, tu n’as rien compris au game. Ici, c’est Reichstadt le tôlier. Il décide si tu vis ou tu meurs. Et moi, j’ai encore envie de vivre.
À ces mots, il lui trancha la gorge net. Un flot de sang se déversa de l’entaille et gicla sur le visage de l’assassin. Skylar grimaça et recula d’un mètre. Voyant sa victime rendre son dernier souffle, seul dans le silence, il exhala un soupir.
— Fait chier.

CHRONOLOGIE: