OPTION FORME LIBRE

Il la forçait à s'asseoir sur une chaise pour jouer la comédie.
Pas suffisant, recommence.
Recommence
recommencer, jusqu'à quand ?
— Jusqu'à ce qu'il ne soit plus nécessaire que tu joues. Jusqu'à ce que toi-même tu crois en tes mensonges.
Il avait coupé les ponts avec sa famille. Il écrivait des nouvelles que personne ne lisait.
Qui irait encore tourner des pages quand des acteurs pouvaient imaginer à la place des autres ? Ils vivaient dans un taudis, ils ne mangeaient pas beaucoup, mais son père était satisfait.
Connaître la faim, croire à travers des lignes, il voulait que sa fille en soit consciente. Les écrans, il faisait en sorte qu'elle en voit le moins possible. Il était fou, complètement fou. Enfermés dans un trop petit espace, cachés dans les plus bas fonds de la plus basse cité.
Dès ses cinq ans, il s'est mis en tête de l'entraîner : à se battre, à mentir, à survivre dans ce vingt mètres carré de salon. — Ils auront de quoi détecter tes émotions alors, le moment venu, tu devras être capable de ne rien ressentir.
N'importe quoi, il racontait n'importe quoi.
Il n'empêchait qu'elle se posait des questions. Il était doué au combat, savait y faire avec la survie et l'apprentissage. Il lui a appris à parler pour amadouer, à lire pour comprendre.
J'étais un chasseur, Klara. Une sorte de pantin.
Ta mère est morte quand tu es née
Tu ne devras jamais revoir ma famille, tiens-t’en éloignée quoi qu'il advienne.
Il lui avait raconté d'autres choses, mais elle doute de leur véracité, d'avoir été certaine de les entendre. "J'ai fui, déserté. Ta naissance n'a pas été heureuse, mais tu lui ressembles tellement..."
Il n'était pas toujours tendre. Il disait que ses ennemis ne le seraient pas non plus. Vu qu'elle ne sortait quasiment jamais, comment discerner le vrai du faux ? Il n'hésitait pas à user de tortures, rejouant des interrogatoires, lui demandant de garder des secrets avant de lui sommer de les avouer. Des violences physiques et morales, une lumière aveuglante dans les yeux, la pousser jusque dans ses derniers retranchements, et qu'importe ses pleurs, ses supplications, sa fatigue. Après cela il lui arrivait, à son tour, d'éclater en sanglots puis de venir la bercer.
— ... comprends-moi....oh Klara, essaie de comprendre, j'aspire uniquement à te protéger de ce monde.
L'on croit aussi que la pleine lune protège des ombres.
Âgée de quatorze ans, quand la porte vola en éclat. Il faisait nuit qu'elle assure. Son père fut propulsé dans les airs avec une facilité déconcertante. Ils gloussaient sous des masques aux sourires formels.
— Touche pas à la fille !
— C'est plus une fille, c'est déjà une femme.
— Je t'ai dit pas touche bordel ! Ôte tes sales pattes !
Ils ressemblaient à deux chiens qui se grognent dessus. Son père avait été abattu... puis, ah, un coup sur sa tête, Poka! Elle s'est réveillée au milieu d'une mare de sang... son propre sang. Très mal en bas, au niveau de, vous savez... Black out.
Allongée sur un lit douillet où tout était si blanc. Le paradis, pour sûr. Un homme s'est penché en hurlant qu'elle s'était réveillée. Elle fut surprise de revoir son père. Il avait eu accès au paradis ? Elle fut très tentée de rabaisser ses paupières trop lourdes, mais on l'encouragea à rester éveillée.

Combien j'ai de doigts ?
....
Ton nom, tu te rappelles de ton nom ?
...
Il aurait bien pu taper comme des sourds, elle en aurait pas aligné deux mots.
Son père a bousculé l'homme en blouse pour lui prendre la main. Il n'avait pas les mains calleuses cette fois. Sauf qu'à force de cligner des yeux pour lutter contre sa fatigue et effacer le flou qui collait à sa rétine, elle a remarqué des différences notables sur le visage de l'homme.
Ce n'était pas son père.
— Je suis ton oncle Klara, tu es en sécurité maintenant.

6 mois de coma
lésion aux organes reproducteurs -on n'irait pas en faire un dessin.
comportement psycho-rigide
tendance à frapper les soignants : sentiment de persécution.
Un don pour la persuasion aussi, à vous demander de l'eau par le biais d'un sourire démuni, puis aller se jeter sur vous à peine le gobelet tendu : sangles, donc.
Phases d’intense énergie ponctuées de rires hystériques, de crises de colère ou des passages de léthargie débonnaire pour les soignants, mais jugés plus inquiétants de la part de son oncle.

Trois mois après- une période longue et fastidieuse- un vieil homme est entré dans la maison. Elle avait fini par comprendre qu'il s'agissait d'une maison, une bien, belle, grande demeure avec des murs froids et de la lumière à travers des fenêtres.
Il se présenta comme étant son grand-père. Mais elle avait été trop bien entraînée. Seize ans, somme toute un peu moins, peut être, car être nourrisson vous offre un sursis, mais approxima seize ans à devoir survivre dans l'éventualité que ce genre de jour arrive.
Attention, s'ils te posent des questions. Ne réponds pas, jamais.
Ils pourront tenter de t'amadouer au moyen de nourriture, de gentillesses.
Ne fléchis pas.
Il lui semblait pouvoir sentir à nouveau l'haleine de son père, rendue mauvaise par des brossages de dents épisodiques. Ou le souffle d'un fantôme... un corps prenait combien de temps avant de se décomposer ?

Le vieil homme avait bien la classe tout de même. Vieux, mais au maintien droit, plus droit que n'avait jamais été le sien d'ailleurs, il a posé sa canne contre le matelas puis s'est assis sur la chaise à côté d'elle. Il lui a dit, en gros.

— Je déplore que ton père ait perdu la raison, tu sais. J'aimerais te dire que je ne l'avais pas vu venir, mais je crains que mon défaut fut plutôt d'en ignorer les conséquences. Les faiblesses d'un homme qui, à l'époque, n'avait pas l'excuse du poids des années... Ton corps ayant repris des forces, je refuse de te garder plus longtemps sur ce lit, je refuse de donner raison aux tortures que mon fils t'a faites subir . Tu auras ta chambre, Klara, et tout ce que tu désires... dans la mesure du possible. Les moyens sont un luxe non négligeable sous ce dôme.
Repose-toi maintenant. Je te conduirai moi-même vers ta chambre, plus tard.

Ré-apprendre à marcher.
Ré-apprendre à parler.
Ré-apprendre, à faire confiance.
Ré-apprendre de nouvelles notions, des secondes vérités.
Quérir des entraînements pour ne pas perdre cet absurde héritage familial, qu'importe qu'ils fussent les responsables directs de sa défectuosité mentale, elle avait grandi avec. Les premières années d'une vie forgent un être. Alors soit. Lire aussi, se documenter sur tout, tant qu'elle aspira à devenir avocate.
Ce qui tombait bien, vu qu'ils appartenaient à la brigade rouge.
Par contre, elle n'a jamais pu s'habituer à l'opulence. Passer d'un excès à l'autre de la sorte... elle se rassurait dans la beauté simple d'une table sommaire, un canapé ayant tant vécu qu'on s'imaginait toute sorte d'histoire abracadabrantesque(un mot qui se rattache bien à sa définition) sur le pourquoi de son état  et des dossiers en attente d'être traités.
Sinon, elle est en retard pour son boulot.
Puis ce texte est suffisamment long comme ça.