Le rat ne se souvient plus, de où et quand, il est né. Cela a-t-il de l'importance ? Au fond, oui. Les origines ça a toujours de l'importance, surtout lorsqu'on pense que ça influe sur où l'on va. De son histoire, il ne connait que les grandes lignes. Famille de petite bourgeoisie, maman en femme au foyer, papa en ouvrier diplômé, un foyer qui s'agrandit d'une famille nombreuse, les sous qui viennent à manquer, et les enfants commencent à faire de la merde. De ses frères et soeurs, Ephrem se souvient surtout de leurs excès, de leurs gueules défoncés, de la drogue, de l'alcool qui circulait, il se souvient qu'il était l'espoir de ses parents, qu'il était le plus calme, le plus posé, le timide, le gentil, qu'il a voulu bosser tôt pour aider papa et maman. Ouvrier dans les usines Pinxit, il bosse dur pour trois fois rien.

La Matrice c'est avant tout un moyen de s'échapper, de s'enfuir de la réalité. Il avait besoin d'oublier ce qui l'attendait à la maison, besoin d'oublier ce qu'il faisait au taf. Tout était si simple dans ce monde virtuel, si évident, si facile. C'était leur monde à eux. Jusqu'à ce que Pinxit s'en empare. Pinxit lui volait son maigre salaire et le pourchassait jusqu'à son paradis, impensable ! Devenir hackeur est un mouvement de groupe qu'il suit avec ses potes. Et puis, il y a prit goût, prenant de plus en plus de risque, de dangers, parce qu'il avait ce parfum en lui. Le parfum du risque. Il sentait cet univers là se plier à sa volonté, littéralement. Un jour, il se connecte sans rien, sans outils, il panique. Il hurle. La panique ne se calme pas. Parce que ce jour est spécial, c'est le jour où ils lancent une attaque contre Pinxit. Il n'en est pas à sa première, mais cette fois-ci Pinxit réagit, Pinxit orchestre une descente. Ils n'envoient pas des flics mais des aberrations, des machines à tuer. Ephrem flippe sa mère et s'enfuit. Il va en bas, là où les dvoïniks vont, parce qu'il s'imagine en être un. Au fond, c'est son côté romantique, il faut qu'il soit maudis jusqu'au bout. Peut-être un moyen de se réinventer aussi. Mais la peur s'est installée et ne le quitte plus.

En bas tout lui parait plus calme, en bas, tout est éteint, déconnecté. Il s'y sent à l'abris. Bouffée de panique, il s'est englouti, s'est noyé dans l'angoisse. C'est au fond du trou qu'il a compris. Ce qu'il lui arrivait. Déchirure. C'est le nom qu'on lui donne. Il savait qu'en bas, il y en aurait d'autres comme lui, qu'il y trouverait refuge, qu'on lui tendrait les bras, qu'on l'accepterait aussi monstrueux soit-il. Il a fuit en dessous, il s'est jeté dans les entrailles du monstre. Et ce n'est que là, dans l'obscurité, dans les profondeurs, que la panique a cessé. Brutalement. Il s'est senti mieux. Au milieu des monstres, il se sentait à sa place. A présent, il comprend, ce à quoi il est destiné. Voire le monde brûler, prendre sa revanche, leur faire payer à tous. D'en dessous, il les entendra hurler.