Volkmar prenait soin de ses chiens, même si leur bâtardise égalait nettement leur absence absolue de noblesse. Les Aberration disposaient de leur propre repaire, subtil mélange entre un entrepôt et une prison de haute sécurité : un lieu glacial, inhospitalier et rébarbatif, à l’image de ses occupants. Consciencieux, et à l’heure, Blake squattait la « salle » d’entraînement. Construite sous forme d’arène, elle était munie de rangées de gradins, réservés aux curieux, moqueurs et autres élèves de la bande. Jeté dedans, des extras devenaient activables : obstacles, joujoux supplémentaires, pièges contondants ou non, le tout dans un l’optique de pimenter un peu les combats. Que les combattants ressortent de là un membre ou deux en moins, relevait du détail.

Oui, Blake était à l’heure, et il l’attendait. Qui ? Son jouet du moment. Blayne. Semblable à un gros chat, Skylar aimait s’amuser avec de nouvelles choses, dont des souriceaux grelottants. Car Blayne atteignait tout juste l’insignifiance à ses yeux. Il allait devoir en chier un moment s’il voulait obtenir son respect. Contrairement à Taïsiya, qui l’avait acquis à la seconde où elle avait réduit Rakovski en morceaux, Blayne avait du chemin à faire.

Précisément allongé comme un félin sur une poutrelle de métal, Blake chantonnait un air de cyber-électro. Ses écouteurs fixés à ses oreilles, il semblait dans son monde. Son instinct le fit entrouvrir un œil, et il vit Blayne arriver. Il le referma, un sourire au coin des lèvres. Le gamin mérita toute son ignorance : Skylar décidait lui-même du moment où il se montrait. Se plier aux desideratas des autres ? Jamais de la vie.

Il finit par descendre dans un mouvement d’une élégance inimitable. Son atterrissage ne fit quasi aucun bruit, sinon le froissement de son manteau sombre. Là, il continua à chantonner, yeux fermés. Il effectua un ou deux pas de danse, tournoya sur lui-même, et tourna le dos à Blayne.

— T’es en retard, louveteau, siffla-t-il.

Comme le gamin allait lâcher un mot, Skylar fit volte-face à lui et le fit taire d’un index levé à moins d’un centimètre de sa bouche.

— Chut. Si tu me dis que tu avais des affaires d’importance, je vais me vexer.
Je suis ton affaire d’importance.

Blayne était en retard. Si d'ordinaire il prenait soin à être ponctuel, cette fois il n'en avait cure. Skylar pouvait bien attendre, surtout qu'il était homme – ou plutôt dvoïnik – à s'en ficher de tout. Que Blayne soit en retard n'avait donc aucune importance. D'ailleurs, s'il l'était, c'était parce qu'il revenait de sa rencontre Kirill dans cette boutique d'armes.

L'air de rien, l'Aberration entra dans le repaire et prit volontairement son temps pour se diriger vers l'arène aménagée, allant pisser et se laver les mains juste avant de rejoindre cette soit-disant salle d'entraînement. Blayne n'eut qu'à lever les yeux pour repérer Skylar, allongé sur une poutrelle, ses habituels écouteurs dans les oreilles. En l'entendant chantonner, le « petit  nouveau » qu'il était eut confirmation qu'il avait eu tout à fait raison de ne pas se presser. Connaissant le yankee, il allait daigner descendre quand ça lui chantait ; Blayne avait prévu le coup. Tranquillement, il s'installa en biais sur un des bancs du premier rang des gradins, posa un pied dessus en repliant sa jambe et sortit d'une des poches de son manteau un magazine sur les nouvelles sorties en matière d'augmentations. Un article parlait d'une nouveauté pour les escrimeurs professionnels, et forcément, ça l'intéressait. En tout cas,plus que Sky qui avait enfin choisi son moment pour descendre de son perchoir. Blayne ne fit même pas attention à ses petits pas de danse ridicules pour se donner un genre.

- T’es en retard, louveteau, siffla Skylar qui lui tournait le dos.

Non, c'est vrai ?, faillit lâcher Blayne sauf que son collègue l'en empêcha en faisant volte-face et en levant son indexe devant ses lèvres.

- Chut. Si tu me dis que tu avais des affaires d’importance, je vais me vexer.
Je suis ton affaire d’importance.

- Quelle arrogance, Bratja, lâcha Blayne sans quitter des yeux son magazine. Il se trouve qu'en effet, j'ai des affaires d'importance. Mais je ne vois pas pourquoi je t'en parlerai.

Oui, Blayne n'avait aucune intention de révéler qu'un Blade Runner dvoïnik comptait se servir de lui pour espionner les Aberrations. En tout cas, pas à Skylar. Il n'avait aucun compte à lui rendre. S'il devait en parler à quelqu'un c'était à Taïsiya. Leur cheffe.

Blayne daigna enfin relever les yeux vers Sky et lui montra l'article qu'il lisait en tenant bien ouvert les pages d'une main.

- Intéressant cet article, tu ne trouves pas ?

Ignorance crasse. Skylar eut un sourire malgré ce traitement désobligeant. Il resta un moment, bras croisés, à regarder son semblable. Il siffla.
— Excusez-moi, monsieur. Vous êtes très demandé.
Il gloussa. Que Blayne ait donc ses secrets ! Il n’en avait cure. En parfait égoïste, Skylar pensait d’abord à lui-même avant autrui. Un comportement contraire à l’idée même de la fraternité, évidemment instable, des aberrations. Au fond, nombre de ses membres étaient comme lui. On les avait collés ensemble, mais ils ne vivraient jamais les uns pour les autres. Ils étaient une sorte de meute, où la sauvagerie pouvait reprendre le dessus à tout moment.
Comme Blayne lui tendait son magazine, Skylar leva un sourcil. Il observa le papier froissé d’un air faussement intrigué. Un moment, il sembla interdit, comme si une révélation était tombée.
— Attends mais… tu sais lire ?
Clin d’œil. Sourire en coin figé au coin de la face, Skylar étudia attentivement l’article. Une fois lu, il eut un rire.
— Une augmentation pour escrimeur ? Comme si ça allait t’aider à être meilleur. Il t’en faudrait une pour réfléchir, oui.
Un vrai connard.
Rendant le torchon à son camarade, Skylar observa ce dernier d’un air estimatif.
— Savoir manier une lame n’assurera pas forcément ta survie. (Il fit un signe de la main.) M’enfin, survivre tu t’en cognes, toi. Tu veux juste mourir honorablement, c’est ça ?
Ses yeux scintillaient de malice. Skylar était du genre moqueur ; ça, toutes les aberrations le savaient, mais il taquinait Blayne avec une ferveur non dissimulée. Peut-être parce qu’il l’aimait bien. Un fait suffisamment rare pour être noté.
— Je me suis toujours demandé…, commença-t-il en arborant une mine profondément pensive. D’où te vient cette folle idée ? Je veux dire… c’est pas comme si t’avais été élevé chez les samouraïs.
Skylar avait une grande gueule. Pourtant, il se retint d’insister sur le fait que le louveteau avait été élevé en cage des années durant. Cela ne l’empêcha pas d’en rajouter.
— D’ailleurs, tu serais prêt à te faire hara-kiri pour le vieux Reichstadt ?
Étrangement, l’idée n’amusait pas Skylar. On ne rigolait pas de ces choses-là. Il détestait le gâchis, et pour lui, mourir au nom de Pinxit en était un. Le summum de tous. Son sens de la survie, sa lâcheté si décriée, était une façon de respecter ces principes.
Il finit par hausser les épaules.
— Peu importe. On est de toute façon condamnés à crever pour lui… d’une façon ou d’une autre.
Soudaine mélancolie. Skylar avait cessé de plaisanter. Il sentait déjà le cafard lui grimper dans le dos et s’emparer de son esprit. Alors, et d’un geste aussi nonchalant que possible, il se saisit de sa flasque de scotch et s’en envoya une bonne rasade. Le gage de l’oubli.

Blayne ne daigna pas répondre au flux de parole de son collègue. Des paroles qui l’atteignirent même pas. Libre à Skylar de le prendre pour un imbécile. S'il le sous-estimait,il le regretterait déjà par lui-même, Blayne n'allait donc pas le lui faire remarquer.

Blayne se contenta de lever des yeux faussement exaspérés vers le plafond.

- On t'a déjà dit que tu parlais trop ? , fit-il en rangeant son magazine. Chacun a sa façon de survivre qui lui convient. Toi, tu prends la fuite, moi j'attaque de front. Et je préfère juste mourir comme je le souhaite plutôt que comme une merde. Et mourir pour un PDG qui pète plus haut que son cul ne fait pas parti des morts qui me fait envie. Alors je resterai en vie. Si je suis ici, c'est uniquement pour éviter les camps. J'obéis pour l'instant en attendant de trouver un autre moyen de survie. Il y a une chose que la vie en cage m'a apprise : la patience et l'endurance.

Alors il se leva tandis que son collègue qu'il respectait le plus, sans vraiment s'expliquer pourquoi il éprouvait ce sentiment, buvait de grandes goulées de scotch. Le nouveau de l'équipe lu prit la bouteille des mains et pris à son tour une gorgée avant de rendre son alcool à son Bratja.

- La seule chose que je connaisse pour m'en sortir, c'est de combattre. Au fond, c'est ce que nous tous connaissons . Nous, les Aberrations.

Blayne donna deux tapes sur l'épaule de Skylar et se dirigea vers le centre de l'arène.

- Allez, viens, Bratja. Faisons ce nous savons le mieux : se battre. Cette fois, je te mettrais une raclée !

Oui, pour la première fois depuis la seule et unique fois où il l'avait remporté contre lui lors de leur rencontre, Blayne le mettrait au tapis !

Attentif aux mots de son semblable, Blake resta silencieux. Il eut soudainement envie de le prendre au col et de lui intimer de la fermer, par pur souci de sécurité. Blayne s’aventurait sur un terrain glissant, lâchait des mots qui ne devaient en aucun cas tomber dans de mauvaises oreilles. En d’autres circonstances, Skylar n’en aurait rien eu à foutre – égoïste éhonté – mais, étrangement, face à ce gars-là, il se faisait du mouron.
Pour oublier une telle connerie, il s’envoya une rasade de scotch.

— Il y a une chose que la vie en cage ne t’a pas enseignée, l’ami. La retenue.

Il se tut un moment, suffisamment longtemps pour voir le sourcil de son vis-à-vis se lever. Tant d’innocence amusait ce vieux roublard de yankee. Il en avait trop vu pour son âge.

— J’ai une grande gueule, c’est vrai, mais je sais éviter les… sujets sensibles. Prudence, louveteau, nous sommes constamment observés. Prononce un mot de travers, aujourd’hui ou demain, et tu finiras au rebus. (Il haussa les épaules.) Quel gâchis.

Sa face se fendit d’une étrangeté de sourire. Un mélange entre de la tristesse et de la tendresse…

— T’as l’air de t’y connaître, en matière d’aberration. (Il rajusta ses écouteurs.) Si c’est ton délire de te foutre sur la gueule, tant mieux… moi, je tue. Question d’efficacité.

Il fit défiler sa playlist à la recherche du titre idéal. Son dévolu alla à un morceau alliant une instru cyber à une mélodie hip-hop classique. Celui-ci lancé, il ferma une seconde les yeux pour s’immerger dans son monde. Alors seulement il s’avança vers l’arène.

— Si ça t’amuse, dit-il avec flegme.

Soucieux de garder sa tenue intacte, il retira son manteau, révélant l’envers du décor : un gilet de kevlar surchargé de holsters où des couteaux attendaient leur heure. Il en avait même autour de la cuisse. L’éclat blafard des néons de l’arène inondait ses membres de métal de reflets envoûtants, allant du bleu à l’orange, comme s’il s’était agi d’une nappe de naphte. Au niveau du cou s’entrevoyaient déjà des cicatrices : souvenirs indélébiles de tortures pour la science, dessin barbare à la pointe du bistouri que recouvraient, çà et là, les lignes droites et propres de la chirurgie augmentative. Blake, aussi crétin fut-il, et malgré toutes les conneries qui sortaient de sa bouche, avait souffert à l’image de nombreux dvoïniks. Lui aussi, avait connu la vie en cage.

Sentant se poser sur lui le regard de Blayne, il renifla.

— Alors, on y va ? Si tu me fais attendre encore longtemps, je vais finir ivre mort.

Blayne fut plutôt surpris par les émotions qu'affichait Skylar. Etait-il inquiet pour lui, lui qui n'hésitait pas à lui balancer des piques parfois blessantes ? Der plus, son collègue cachait d'ordinaire ses sentiments derrière son attitude d'emmerdeur et de je-m'en-foutiste... ou alors en buvant une bonne rasade de scotch comme il le fit avant de faire son petit laïus. Blayne ne put s'empêcher de voir Skylar sous un autre œil.

- Tu as sans doute raison. Mais aller savoir pouruqoi, j'ai confiance en mon Bratja et la confiance m'a fait parler.

Ce qui était étrange, compte tenu de sa parano. Sans compter que tout indiquait que ne pouvait se fier au moindre membre des Aberrations. Y compris Skylar. Pourtant, il restait persuadé, sans pouvoir se donner d'explication, que jamais Blake ne le trahirait.

La plus récente des Aberrations retint un soupire quand Skylar trifouilla son sempiternel baladeur. C'était toujours ainsi avec lui: il avait besoin de musique  quand ils e battait ou tuait. Par moment, ça en devenait exaspérant même si Blayne s'y était fait. D'ailleurs, il pouvait percevoir les basses de la chanson qui sortait des écouteurs. Puis son collègue s'avança dans l'arène en retirant son manteau. Le jeune homme aux cheveux d'argent ne prêta aucune attention aux cicatrices qui furent dévoilées. Il les avait déjà vues et ce genre de marques étaient monnaie courante parmi les Aberrations. Blayne se contenta donc de rejoindre Skylar qui... l'invita à venir, à défaut d'un autre mot.

- Ivre mort, c'est ton état habituel, lâcha-t-il d'un ton moqueur. Et rien ne vaut le plaisir de t'impatienter. C'est si rare qu'il faut bien que j'en profite.

Ces mots prononcés, il dégaina ses deux épées accrochées  ses hanches, prêt à en découdre. Le Dvoïnik n'avait encore jamais battu Skylar. Pas depuis leur rencontre en tout cas. Mais qui sait ? Peut-être aujourd'hui. Loin d'en prendre ombrage, Blayne voyait cela comme un challenge pour s'améliorer.

Restait juste une chose à faire : activer son armure. En espérant qu'elle réagisse...

Tout en fredonnant, Skylar jeta son manteau sur les gradins. Il semblait prendre cet « entraînement » très à la légère. Rien n’avait aucune importance, et surtout pas ce petit jeu d’égo. Contrairement à lui, Blayne aimait se battre. Skylar préférait — et de loin ! — s’enivrer des caresses d’une femme ou se mettre une race à grand renfort de scotch. Pas très branché violence, au grand étonnement de tous, le shadowdancer était un tueur méticuleux. Sitôt sa besogne accomplie, il se tirait et attendait son dû. Ce n’était franchement pas son délire, de découper les gens.
Une fois au milieu de l’arène, toujours en fredonnant, toujours dans son monde, il attendit que Blayne daigne se ramener. Voyant son armure répondre à l’appel, il eut un sourire. Ça allait être intéressant. Même s’il n’en montrait rien, même s’il semblait s’en foutre, Skylar se rappelait nettement le jour où cet enfoiré de loupiot l’avait mis à mal. Ça avait été la honte de sa vie. Comment avait-il pu se faire avoir par un mec si faible, sans aucune expérience et à poil ?! Il se jurait de lui faire mordre la poussière à répétition, en souvenir de ce jour.

— … that’s enough, I’m just a man who wants to survive…

Il se retourna, comme un ultime manque de respect allié à une invitation. Ainsi, dos tourné à son semblable et non sans sourire, il dégaina un de ses couteaux dans un silence absolu.

— … beware of me, I’m a survivor, the eye of the storm…

Il se retourna soudain et envoya son couteau sur Blayne.



Lancer de dés :

Réussite > La lame touche Blayne. Lancée avec grande précision, elle entaille nettement sa joue au-dessus des rivets de son implant mandibulaire.
Échec > Blayne esquive. La lame dévie sur le métal dudit implant et se fiche dans un mur.



Skylar siffla d’admiration.

— Mais c'est qu'il m'impressionnerait presque !

Il arma un second couteau dans son dos.

— Presque.

Blayne fut rassuré que les mécanismes de son armure s'enclenchent. Cela aurait été... dérangeant qu'elle reste bloquée alors qu'il allait combattre Skylar. Et surtout humiliant. Heureusement pour le dernier venu de la bande, tout se passa normalement. Les différentes plaques d'acier se déployèrent de sous sa peau et de sa colonne vertébrale dans un bruit métallique pour venir le recouvrir et lui offrir une protection quasi-parfaite.

Skylar lui tournait le dos et chantonnait la chanson que Blayne percevait des écouteurs. C'était bien lui, tout craché... Mais loin de s'en exaspérer – enfin, quand même un petit peu – Blayne restait sur ses gardes, connaissant la nature vicieuse de son semblable. Et il eut raison !

Sans signe précurseur, Skylar lui envoya un de ses couteaux. Blayne esquiva de justesse d'un mouvement de tête, la lame effleurant sa mâchoire de métal dans une petite gerbe d'étincelles. Le sifflement de son collègue qui suivit l'irrita. Comme toujours, Blake était incapable de se retenir de se foutre de sa gueule... Cette mauvaise habitude à Blayne des envies de meurtre qui ne désirait qu'une chose : lui cloué le bec et effacer ce sourire idiot de son visage...

La jeune recrue des Aberrations n'attendit pas que Skylar termine de parler. Il se donna une propulsion d'un coup de pied au sol et charger son collègue dans le but de lui donner un bon coup de coude en plein ventre.

Lancé de dé :

Réussite : Blayne parvient à donné son coup de coude et enchaîne sur une nouvelle action qui réussie
Echec : Sky le bloque et contre-attaque