Depuis qu’elle avait quitté la citadelle, Sybile n’avait pas passé une seule soirée sans boire une quantité de brûle gorge hallucinante, sans avoir vomis au moins trois fois jusqu’à s’en tordre les boyaux — ça y’est le nom de cette affreuse boisson lui revenait, tord boyaux — sans mettre les pieds dans un de ces hauts lieux de débauche, sans sentir le regard des hommes se poser sur son corps, et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle ne s’était jamais autant amusé. Comment pourrait-elle regretter ces soirées passées seule avec l’écran gigantesque collé au mur, allongé sur ces canapés hors de prix, à se demander s’il existait quelque chose de plus ennuyeux encore ? Le summum était sans doute quand elle enfilait son holoband, et s’échappait via le monde virtuel. Seul problème, ce n’était pas réel. Peu importait le nombre de mecs avec qui elle couchait, lorsqu’elle enlevait le Holoband, elle était toute seule dans le gigantesque appartement, vide, et se demandait si son père allait rentrer bientôt ou si elle allait encore s’endormir sans avoir parler à qui que ce soit de toute la journée. Non, elle ne risquait pas de regretter sa vie d’avant. C’est vrai que le luxe dont elle bénéficiait rendrait dingue n’importe qui du ghetto. Elle pouvait manger tout ce qu’elle désirait, et pas mal de choses qui n’existaient même pas ici, elle pouvait passer sa journée à dormir si elle le souhaitait, elle pouvait prendre des bains ! bon sang, rien que des bains dans de l’eau chaude, rien que cela semblait terriblement luxueux ici. Mais quelle valeur cela pouvait-il avoir quand on comparait ça avec le nombre de lien qu’elle pouvait tisser en une seule journée, en une seule soirée, en seulement quelques minutes ?

Par exemple ce soir, elle était au Hive. Le genre d’endroit où les filles dansent sur des podiums lumineux, où les hommes sortent bien trop de billets pour des honnêtes gens, le genre d’endroit où l’on peut trouver des bouteilles de vin datant d’avant 2025, d’avant la crise, le genre d’endroit où l’on sait ce que veux dire champagne, mais ceux qui peuvent se payer tout cela ne sont pas des enfants de cœur, d’ailleurs qui en est ? L’innocence est devenue une denrée plus rare encore que l’électricité. Les tables nichées dans les alcôves recèlent de clients plus ou moins fortunés, vous trouverez ici les patrons de mafias, les dealers, les marchants de rêve comme on dit, les mac, tout ce beau petit monde qui se réunit ici, pour voir les filles qu’ils paient une misère danser pour eux. La boîte de nuit où jamais aucun représentant de l’autorité ne met les pieds. Les lieux sont attaqués régulièrement. Un mec isolé ou une mafia concurrente, souvent un mec voulant ravir la place, ou prendre toutes les parts, un gourmand comme on dit. Ces mecs là viennent ici, tirent des coups de feu, ou tentent de voler la recette, certains ont même tenté de s’attaquer au coffre qu’on dit planqué au sous-sol. Pas un seul ne s’en serait sorti vivant selon la légende. Mais il est nécessaire que tout le monde soit persuadé que l’endroit est totalement et définitivement imprenable. C’est pour cela qu’au-delà de l’alcool coulant à flot, de ces corps sublimes à moitié dénudé et d’une bonne dose d’hypocrisie, on perçoit une légère tension, une légère paranoïa, qu’on peut voir des hommes armés un peu partout, et des système de sécurité plutôt évolué en comparaison du reste du ghetto devant faire comme il peut pour se prémunir d’attaques éventuelles. Evidemment, la demoiselle ignorait tout cela, mais l’homme qui l’amenait ici se fit un devoir de tout lui expliquer ne voulant pas que sa compagne de ce soir passe pour une complète idiote.

Il s’appelait Igor. Elle l’avait déniché dans un bar. Seule, assise au comptoir, jouant avec sa paille, elle attira bien vite l’attention des hommes. Igor fut le plus rapide, peut-être aussi le plus impressionnant. Il lui promit du véritable champagne plutôt que cette merde imbuvable qu’elle s’apprêtait pourtant à ingurgité. La jeune fille tourna vers lui des yeux innocents, et un peu surpris qui détruisirent toute défense. Un homme est un homme, surtout devant ce genre d’arguments. Elle portait une robe légère. Bien qu’un peu sale, c’était un joli bout de tissu qu’elle avait embarqué avec elle en quittant la citadelle. Il la mettait sacrément en valeur, un tissu vaporeux, bleu clair, soulignant la couleur de ses yeux. Igor la couvrit de compliment à ce sujet et l’emmena ici, au Hive, un endroit inconnu jusqu’alors à l’hérésie. Elle découvrit ce décor lumineux, jamais elle n’avait vu autant de lumière depuis qu’elle était arrivée au ghetto. Et après quelques coupes, Sybile était complètement saoule. Ce dont s’aperçu très vite notre cher Igor. Il avait quelques amis qu’ils avaient rejoint, et les hommes couvrirent de leurs yeux pervers le corps à moitié dénudé de la jeune hérésie, ne masquant nullement leur désir, à cette jeune effrontée qui en riant se frottait à eux, dansait parmi eux, et riait à toutes leurs plaisanteries. Elle finit par trouver leurs discours long, mornes et ennuyeux, aussi décida-t-elle d’aller sur la piste de danse. Parvenu sur la plateforme lumineuse, elle chercha un partenaire de danse, bien qu’elle tournoyait déjà sur elle-même en riant. Puis, le hasard décidant pour elle, ses pas peu assurés l’amenèrent à tomber à moitié dans les bras d’un parfait inconnu.

Habitée par l’ivresse, par le désir de posséder un corps nu contre elle, par le besoin impérieur de quitter la morosité, de s’amuser, de vibrer, elle s’est lancée sur la piste de danse, se laissant pratiquement tombé dans les bras d’un inconnu après un ultime sursaut d’inconscience. Ténèbres, prenez moi la main. Souhait des plus honnêtes. Elle veut se perdre pour renaître. Elle veut tournoyer jusqu’à en perdre la tête. Elle veut oublier qui elle est. La demoiselle attend et exige que le danseur la prenne dans ses bras, et la fasse tournoyer. Elle est collée contre lui, mais aucune main ne la parcoure, aucune sensation de bosse se formant dans le pantalon du dit sieur. Tout bonnement incroyable ! Les paupières de la donzelle s’ouvrent dévoilant l’étonnement qui fige ses traits un instant avant qu’elle ne se redresse, une moue boudeuse sur les traits. Eh bien quoi, on ne me fait pas danser ? demande l’expression de la jeune femme à la fois impérieuse et pleine de candeur. Elle penche la tête sur le côté, examinant cet homme qui toute beauté magnifique confondue était, semble-t-il le gros lot de la soirée. Et cependant, comme s’il n’avait pas conscience de sa beauté ou qu’il était tout simplement idiot, il souriait bêtement au lieu de la faire danser. Difficile à croire qu’un canon pareil soit inconscient de sa beauté, plus difficile encore, de trouver un homme assez stupide pour ne pas tenter quelque chose quand une femme lui tombe dans les bras. Elle fronça les sourcils ne croyant pas à la fable, pourtant il continuait à sourire bêtement. Sybile détestait qu’un homme se refuse à elle, cela la mettait hors d’elle, surtout lorsqu’il était dans un lieu dédié à la séduction et au sexe. L’enfant capricieuse agissait comme tel, tapant presque du pied, grognant comme un petit animal enragé, lançant des éclairs de ses prunelles. Comment pouvait-elle savoir ce qu’il lui passait par la tête à cet instant ? Bien sûr que non, elle ne pouvait comprendre, elle ne pouvait non plus accepter et s’avouer vaincu. D’autant qu’il ne l’avait pas repoussé comme tant d’autres l’ont fait, ni ne lui avait parlé sèchement comme si elle était une gamine, ou pire ignoré, non il souriait tout simplement. Ce n’était pas signe de refus définitif juste de timidité ou de bêtise, rien de désespérant en somme. Et elle n’allait pas renoncer pour si peu, pas alors que le seul mec canon qu’elle est vu depuis des lustres se pointe juste sous son nez ou plutôt qu’elle lui tombe dessus. Non, elle n’avait aucunement l’intention de renoncer aussi rapidement.

Un petit rire cristallin s’échappa de ses lèvres. Elle rejeta sa tête en arrière au même instant où elle laissa ce rire éclater hors de sa bouche, à gorge déployée comme on dit. Découvrant ainsi sa poitrine guère masquée par le bout de tissus qui lui servait de robe pour ce soir, elle se redressa en mettant sa main devant sa bouche, mimant un oops, sexy et enfantin. En revanche le pas de côté dû à l’alcool n’était aucunement voulu. Elle joua de ses cils, battant des paupières, jouant à fond la carte de la femme enfant, avant de se pencher en avant et de s’agripper à lui, prenant ses bras musclés entre ses doigts fins. « Je suis désolé. » fit-elle comme pour s’excuser d’avoir chuté sur lui. « J’ai sans doute bu un verre de trop. » Elle éclata de rire à nouveau. Cette fois-ci était-ce vraiment voulu ? Elle-même l’ignorait. Le toucher la rendait fébrile sans qu’elle sache pourquoi. Elle avait soif de lui. Ce devait être cela. Elle devait avoir faim et soif, non pas de nourriture matérielle, mais de sexe et peut-être d’autre chose. Il y avait quelque chose en lui qui semblait divin et infiniment attirant. Il était sexy en diable et elle avait faim de sa chair. Humant son parfum, se collant à lui, tel un animal, avec une sensualité presque féline, elle capta son odeur, et se senti plus encore attiré par lui, si cela était possible, ses mains glissèrent, cherchant une faille dans le tissus pour toucher la peau, pour sentir sa texture, savoir si elle allait avoir un petit choc électrique en le touchant ou non, elle pensait que oui. « En fait, je ne suis pas désolée du tout. » glissa-t-elle au creux de son oreille dans un murmure sensuel, un appel au sexe, aussi tangible que cela pouvait l’être.