Gamin lambda, au sommet d'une tour dorée. Sans histoire, c'est l'unique image qui t'a toujours défini. Un gosse de bonne famille, c'est ce qu'on murmure. Paisible, discret, c'est ainsi qu'ils te perçoivent. Tu entres dans les cases, il paraît, t'es pas méchant, c'est ce que te disent leurs sourires lorsqu'ils te croisent. Au fond, c'est leur vérité, leur réalité, c'est ainsi que tu t'es toujours vu, auparavant, à travers le regard d'autrui, dès ton plus jeune âge. Pour combler cette anomalie, ce vide qui murmure en toi. Tu n'as pas vu le jour sur ces terres glacées après tout, tu as poussé ton premier cri au sein d'un monde qui te semble vague aujourd'hui. L'Allemagne, patrie oubliée, leurs âmes vendu à Pinxit ont servis de moteur à l'exode, plus loin au nord. Tu ne peux prétendre possédé un quelconque patriotisme, celui-ci étouffer dans l'oeuf par le déracinement. Tu n'as pas connu cette cité machine reine sur le territoire germanophone, non, tu n'as connu que le froid de Russie, au plus loin que ta mémoire te le permet. Tu les a toujours vu partir, loin de toi, te confiant à l'acier glacial d'une machine, absence familière, qui accentue le mal, la névrose grondant en toi. Existence absurde, l'enfant se noie dans la matrice, découvre une autre réalité, loin du quotidien, il s'égare entre les lignes de code dès ses premiers instants, ceux de cette machine qu'on appelle aujourd'hui Matrice

Les années défilent, nombreuses et brèves à la fois. Tu as trouvé ton refuge au coeur même du virtuel, alors que ton mal est clairement identifié. Dépression, névrose étrange, sans remède, ils ne peuvent que la brider, t'intoxiquer pour faire taire l'agonie de ton être. Rictus factice qui se dessine sur tes lèvres tandis que tu plonges encore et encore dans la matrice. Là-bas, on te nomme « Yehovah » sans en connaître le sens, nom du divin qui aurait abandonné ce monde, c'est ce que tu aimes croire, il ne pourrait pas en être autrement. Ce monde, celui qui est le tien est souillé, déchu, quand tu le compares aux nombreuses archives du passé. Folie humaine, transhumanisme cruel, tout ceci est contre-nature. Adolescent en mal de vivre, comme beaucoup, humain rongé par la névrose, addict à la Matrice, tu développes alors une certaine aisance à manipuler la toile, talent développé au fil du lien que tu construis avec cet autre monde. Remède à cette réalité que tu aimerais bien réfuté. Tu deviens roi de ton royaume, ton monde, ton univers. Mégalomanie virtuel issu de cette folie, de cette intimité que tu partages avec la matrice, hacker de talent qui se découvre au fil d'expériences maladroite.

Puis vient l'âge adulte, d'abord par la majorité intellectuelle, puis la majorité physique avant de devenir absolu, aujourd’hui vingt sept ans. Mais encore jeune, mais un talent cerné par les rois de ce monde, tu refuses pourtant l'offre qu'ils te tendent. Pinxit, diable en costume cravate, tu ne désires pas n'être qu'un engrenage de leurs terribles manège, tu désires plus qu'une place dans ce monde, tu désires des sensations. Rebelle factice, profil conçu de toute pièce pour qu'ils te voient, eux, ceux qui se cache dans l'ombre, teinté de rouge. La Bratva, ils te séduiraient presque sincèrement, si tu étais plus réel que ton avatar virtuel, si ce n'était pas une déraisonnable immaturité qui ne guidait pas tes pas. Pourtant, tu le sais, tu n'as ni le profil, ni la carrure de réellement défier les lois, d'être aussi « libre » qu'eux, malgré tout, tu le désires. Alors tu braves les interdits, tu murmures certains secrets contre de belles sommes, sous l'oeil sinistre de Pinxit. Criminel par défaut, simplement pour retrouver ce qui t'a toujours manqué, l'adrénaline devenu nécessaire pour avancer, tu cherches une vérité dans cet amas artificiel qu'est devenu ce monde. Sans désirer une révolution, tu essais de l'amorcer, sans réellement désirer cette utopie que tu as conçue, tu te bats pour. Factice, c'est ce que tu es réellement, un amas d'information auquel tu as offert un corps, des idées d'un autre temps auxquels tu redonnes vies. Tu vis un idéal qui n'est pas le tien.