Last hope in hell

@Bogdan Oulianov & Kira Kitsyne

Ce monde n'est qu'une immense entreprise à se foutre du monde. ...
Les machines déglinguées étaient le domaine de Kira. Elle retapait les corps affligés en ignorant les esprits défractés, psychotiques, parce qu’au fond, pour elle, la psychose était la seule manière de survivre à ce monde froid et tranchant comme une lame de fond. La scientifique avait toujours eu un grain, d’aussi loin qu’elle s’en souvienne, mais ce grain avait été clairement alimenté, par la négligence de ses parents trop occupés par leur entreprise fleurissante, et le rachat de celle-ci par Pinxit, par la mauvaise influence d’un amour de jeunesse, par l’enlèvement qu’elle avait subit encore adolescente et le syndrome de Stockholm qui s’en était suivi. Qu’après celui-ci, Volkmar se soit montré aussi présent pour elle, devenant d’abord son mentor puis son amant, n’arrangea rien à l’affaire. A l’âge de 25ans, elle avait déjà vécu plus que certains en toute une vie, elle était déjà amère et blasée. Quand Volkmar voulu se séparer d’elle, il l’envoya dans les camps de régression avec une jolie promotion. Chef du laboratoire, elle était libre d’expérimenter autant qu’elle le désirait, même si, il y avait un protocole à suivre et des résultats à obtenir, des caméras pour la surveiller et des rapports à remplir. Kira avait doucement mais sûrement basculé. Dans la folie. Selon elle, tout était entièrement la faute à Volkmar mais ce n’était pas totalement honnête, elle avait plongé bien volontiers, et avait apprécié ce voyage en enfer, jusqu’au bout.

Se tenant face à l’employé revêche qui lui indiquait les nouvelles mesures de sécurités, Kira ramena une mèche de cheveux derrière son oreille. Ils étaient trop long, elle allait devoir les couper. Ces magnifiques cheveux longs et roux qu’elle avait plus jeune avait disparus, après que Volkmar l’ai largué. Il disait que ses cheveux faisaient toute sa beauté, alors elle les a coupé. Ses yeux clairs se posèrent, avec un air blasé, sur la combinaison blanche que le type lui tendait. Comme s’il y avait le moindre risque d’attraper quelque chose. Quelqu’un leur avait-il seulement expliquer que c’était une mutation, c’était génétique et non un virus ou une bactérie, quelque chose qu’on pouvait attraper par l’air ou le contact ? Elle secoua la tête. « J’ai pas besoin de ça. » Le type insista, il avait l’air bûté, et passablement angoissé mais Kira tenu bon. L’homme n’insista pas quand elle lui fit comprendre qu’elle connaissait le numéro personnel de Volkmar. Cette astuce fonctionnait encore même si, pour rien au monde elle l’appellerait. Passant donc la sécurité, elle pénétra dans le laboratoire high tech où l’on remettait en marche les machines brisées de la section des Aberrations. Kira n’avait pas spécialement tenue à faire parti de ce programme, c’est en tant qu’ancienne chef de laboratoire qu’elle a été appelée, par sa spécialisation sur l’hybridation. Car ici il était question d’améliorer des dvoïniks ce qui pouvait, souvent, se traduire par des syndromes complexes.

La scientifique aux cheveux peroxydées regardait d’un œil plus ou moins attentif la feuille de route. Apparemment, elle avait à traiter Oulianov, le préféré de Taïsiya, le jouet de Volkmar, le patient zéro de cette opération. Kira n’avait rien dit à leur création, mais elle pensait dès le départ que ce projet était foireux. Les sujets finiraient par se rebeller contre leurs tortionnaires. Même Bodgan que la plupart des scientifiques adoraient, y voyant encore le petit garnement qui courait dans les couloirs du labo, il finirait par comprendre que pour se libérer il devait les tuer, brûler cette cité de métal. Kira avait de l’affection pour ses Gumns, ses enfants, mais cette affection ne l’empêchait pas de réaliser que les Gumns tout comme les dvoïniks finiront par tuer l’humanité. Parce que l’humanité avait rendu la terre hostile, et que fatalement, leurs enfants finiront par lui être hostile. L’homme était un poison, un virus, qu’il fallait éradiquer. Quelque part, elle attendait cela avec impatience.

Ses yeux se détachèrent du rapport lorsqu’elle entendit un bruit de pas, quelqu’un arrivait. Sans doute son patient. Elle portait une blouse blanche, une paire de lunette de correction dû à son âge, mais cela ne l’empêchait nullement d’avoir du maquillage et une paire de talons d’au moins dix centimètres. Kira avait toujours été très féminine, presque trop selon ses partenaires. « Bonjour Bodgan. » fit-elle en l’accueillant, presque chaleureusement. Après tout, il ressemblait, par bien des aspects, à ses enfants. Et elle l’appréciait. Elle avait même foi en lui, l’espoir qu’il détruise Volkmar et tous ces enfoirés de Pinxit.

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Ce monde n'est qu'une immense entreprise à se foutre du monde. ...

La scientifique à son habitude, releva la remarque du jeune homme. Si les aberrations la supportait mieux que les autres ici subordonnés et préposés à la foire aux monstres ambulante que tenait Volkmar c’était parce qu’elle avait un franc parlé qu’il lui valait les foudres de ses patrons. Pourtant, c’était la stricte vérité. Ils étaient ici dans une arène et chacun de leur geste était observé. Volkmar utilisait ses petits monstres bien élevé, privé de liberté, dressé comme des chiens de garde pour attaquer ceux qui le gênaient. Il avait formé son petit bataillon suicide, son armée secrète faite d’être qu’il avait laissé enfermé, qu’il traitait comme du bétail. Mais soyons honnête, ce psychopathe traitait tout le monde ainsi. C’est juste que les humains riches se rebiffaient mieux que des mutants pauvres que la société avait désignée comme trop dangereux pour être libres. « Je suis là pour te retaper. Mais si nous le pouvons, on évitera les examens. » fit-elle, presque bienveillante.

Kira était une connasse avec quasiment tout le monde, excepté Bodgan. Excepté les Gumns. Peut-être qu’il leur ressemblait plus qu’elle ne voulait l’admettre. Si elle se montrait gentille avec lui et avec ses frères c’est peut-être parce qu’elle estimait qu’ils en bavaient suffisamment, ou parce qu’elle aimait leur bizarrerie, leur monstruosité. Elle avait toujours préféré la compagnie des gens bizarres et différents, comme elle. C’était peut-être aussi pour cette raison qu’elle s’était entichée toute jeune de Volkmar, une grossière erreur qu’elle allait devoir subir, et payer pendant une bonne partie de son existence à moins qu’elle ne s’enfuit dans les ténèbres, et rejoigne ceux qu’elle avait soumis aux examens dans les camps de regression. Elle se demanda pourquoi Bodgan ne la haïssait pas, il aurait dû, vu ce qu’elle avait fait. Elle ne valait pas mieux que les autres. A l’exception peut-être qu’elle avait finit par comprendre son erreur. Peut-être était-elle gentille avec lui parce qu’elle se sentait coupable tout simplement.

Enlevant ses lunettes pour se frotter le nez, elle soupira en le regardant. Il avait peur, de ce qu’il était, de ce qu’il deviendrait, de ces pulsions à l’intérieur de lui. C’est justement parce qu’il en avait peur qu’il était humain contrairement à elle ou à Volkmar qui épousaient leurs ténèbres, embrassaient leurs pulsions et leurs vices, cédaient à la tentation, à la cruauté, au sadisme. Il ignorait à quel point il était doux en comparaison d’eux. « Nous avons tous des pulsions, certains ont plus de facilité pour y résister que d’autres. L’important là dedans c’est la volonté. Rien d’autre. Les drogues qu’on te donne ne t’aideront pas. Crois moi, j’en abuse suffisamment pour le savoir. Si tu doutes de toi, ça veut dire que tu n’es pas un psychopathe. C’est déjà une bonne nouvelle non ? » fit-elle en réajustant ses lunettes sur son nez avec un petit sourire amusé. Le jeune homme ne pouvait sans doute saisir son humour noir et froid, peu de gens goûtait à cet humour qui mettait la plupart des laborantins mal à l’aise.

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Ce monde n'est qu'une immense entreprise à se foutre du monde. ...

La scientifique observe le jeune homme avec ses doutes et ses interrogations, sans doute peu ou prou celles l’ayant traversé quand elle était plus jeune, l’effleurant encore quand elle entend ses collègues parler à son sujet. Monstre, cœur froid, sans âme, frigide, sans humanité, que coule leur venin sur sa carapace, elle n’y prêtait attention, faisait mine de ne les entendre. Il y avait toujours mieux que leurs redites à écouter, plus intéressant que leurs conversations à suivre. L’entendre lui dire qu’elle est bonne la fait sourire. Personne n’avait jamais dit cela à son sujet. Et elle doute qu’il ai raison à son sujet. « Je ne suis pas spécialement sympa, juste réaliste. Tu ne peux pas décider ce que les autres verront en toi, mais tu peux choisir ce que tu veux être. » répond-t-elle en passant sa main sur sa joue, rapidement.

Le geste paraît tendre, déguisé en un geste brusque, peut-être est-ce l’inverse. Elle ne sait pas y faire avec la tendresse, avec les gens en général. Les contacts physiques sont forcément maladroits. Elle les évite la plupart du temps. Mais face au désespoir et aux doutes du jeune homme, elle se sent obligé de lui remonter le moral, à sa manière. Pas forcément la meilleure. Kira serait capable de conseiller le suicide à un type déprimé. La plupart du temps, les psychologues la trouvent désastreuse et préfèrent qu’on ne la laisse en contact avec les Gumn ni les aberrations mais vu ses talents, ils n’ont pas le dernier mot disons.

La scientifique sort sa lampe torche, et commence avec le premier examen de base, celui des réflexes, vérifier si le corps va bien, comme le ferait un médecin, elle examine les pupilles, avant de coller son oreille contre son dos et de lui demander « Penche toi et souffle. » Cet examen de base est parfois suffisant, la plupart du temps, non. Kira n’est pas spécialisée dans le corps humain, mais elle sait l’imiter à la perfection, elle en connaît les tares et les dons. Le manipuler n’est pas un soucis pour elle. Elle écoute le cœur battant, essoufflé, blessé, ressentant l’amertume. Ce monde qu’il effleure lui fait mal, s’il savait, l’immensité de la douleur qui l’attend.

Ensuite, elle sort d’une trousse de quoi prendre la tension. « Relève ta manche s’il te plait. » lui demande-t-elle en le regardant au détour d’un geste médical répété inlassablement. Habitude mécanique sans intérêt. Même s’il est amusant de constater les hausses ou baisses de tension selon l’émotion qui mène la danse à l’instant où on la prend. Mais avec lui, elle sait plus ou moins à quoi s’attendre surtout s’il rentre de mission. L’action fait couler l’adrénaline dans les veines, efface la fatigue et les doutes.

« Il est normal de craindre les changements, mais cela ne veut pas dire qu’ils sont une mauvaise chose. La peur nous pousse à abandonner, à tout lâcher, à nous faire renoncer. Ne l’écoute pas. » souffla-t-elle comme si elle lui révélait un secret. Peut-être en est-ce un. Parce qu’au fond, elle se doute bien de ce qui l’inquiète et des pensées qui le traverse. Elle suppose qu’ils ont la même ambition et c’est pour cela qu’elle est si attachée à lui, qu’il la regarde comme si elle n’était pas un monstre usant de lui comme les autres. « C’est gentil à toi, mais tu devrais davantage penser à toi. Je suis trop vieille pour que tu songes à moi. » révèle-t-elle en lui octroyant un clin d’œil. Ne t’en fait pas pour moi dit-elle à demi mot. L’un comme l’autre savent que la vie est trop courte ici bas pour s’en faire.

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